Fabrégas,
juin 1962
En attendant, la mer
seule compte pour ces gens-là. Ce qu’on met dessus à faire
flotter, ce qu’il y a dedans pour manger. A la jointure : les
rivages, les femmes, la famille. Chaque dimanche l’homme du bal
s’en va fouiller le ventre de la mer, trident au poing, monde du
silence. La jeune épousée l’attend, Elle s’est mise un peu à
l’écart des autres restés sous l’ombrage d’un pin, belle-mère
et ses filles somnolent ou brodent. Les fils aimantés vont et
viennent. Entre eux et Elle, le sourire resté pincé et un livre
ouvert. On ne sait pas la pose, il n’y a pas d’image, rien que la
certitude qu’Elle tient un livre et qu’Elle est vêtue d’un
short de bain ou d’une robe de plage, ce qui paraît le plus
plausible, puisque nager, l’eau, toujours pas ; et puis tenir
le standing, n’est-ce pas, un assortiment en quelque sorte au
complet veston. Le vent tiède descend la calanque chargé de
senteurs résineuses et calcaires : cistes, terre rouge,
cailloux blancs surchauffés. Sous le parasol Elle tient un petit
livre de mauvais papier aux tranches rouges ou vertes, un livre
ouvert entre le cœur et eux, qui ne s’approchent. Donc Elle est
seule, pour finir. Ce qu’Elle lit, Elle se tiendra à le lire et le
relire des années durant, pratique quotidienne d’heure en heure,
devant l’évier, la gazinière, le poêle à mazout, les draps, la
mer, toujours le même petit livre bien que varient couleurs et
illustrations de couverture, mais Elle ne le sait pas encore, Elle
n’est qu’au tout début de son histoire. Comme Elle ignore qu’il
faudra à l’homme du bal habiller l’escalier du logis de planches
étroites pour étayer cette Babel de romances écornées. Elle lit,
une histoire d’homme et de femme esseulés qu’un faux geste
précipite dans les palpitations, l’incendie des sens, par les lois
obscures de l’attraction et ceci malgré les obstacles, répétitifs
et immémoriaux.
La
mer la regarde. Elle lit, Elle est absente, Elle est en attente d’un
mot perdu, Elle mange les pages, une à une, affamée d’une saveur
égarée. Elle mange le livre, et l’amertume qui va avec, une
amertume laiteuse, comme une amande amère, ce qui n’est pas encore
tout-à-fait désagréable. La
petite violoniste, cinq mois, dans un transat blanc, suce son pouce.
Le
vent était devenu plus fort, il avait tourné et venait de la mer.
Il s’engouffrait humide et chaud sous la robe apprêtée. Elle
gardait les yeux rivés sur la page, sur un mot plus exactement, dont
ni les lettres ni la signification ne lui parvenaient. Ils dansaient.
Elle fermait les yeux pour garder en tête une couleur, un vert
limpide, ou bien noisette perlée de vert, elle baissait les
paupières pour imaginer sur sa propre peau la chaleur brune et
nerveuse d’une main de sculpteur pressant et modelant ses courbes,
ses creux, ses plis. Elle rectifia sa position, allongée sur le côté
gauche, remonta un tout petit peu le genou droit, décolla l’une de
l’autre ses cuisses moites : à sa taille, l’étoffe
gonflait à peine sous l’haleine iodée du vent, elle tira
discrètement sur l’élastique de sa lingerie qui se plissa contre
l’aine. Elle imaginait les doigts longs aux veines mauves remonter
le long de ses jambes, glisser sous le jupon empesé jusqu’aux
contreforts de son sexe frisotté offert au vent. Elle avait cessé
de lire, le souffle court, les lèvres entrouvertes. Toute à ses
pensées, un peu transpirante, rendue absente, assourdie par le chant
incessant des cigales et le va-et-vient de la mer, elle n’entendit
pas la Panhard se garer sur les hauteurs de la calanque. Elle tenait
toujours le livre ouvert, mais renversé, comme en présentation,
quoique la tête en bas. Un air ravi et concentré sur son visage
encadré de quelques mèches rousses libérées par le vent qui
forçait, une posture figée quoique languide, tout ceci lui donnait
une présence picturale dont elle ne se rendait pas compte. Et
soudain, il fût là, devant elle, Elle
lit. …une
Vénus innocente. Il avança la main droite jusqu’aux mèches
sur la nuque rousse. Elle voulut le poids de cette main, sa
fraîcheur, sa douceur. Elle n’osait plus bouger. Elle se disait
qu’elle avait déjà vécu ceci, dans un rêve prémonitoire, sans
doute. Quelque chose sur sa nuque, une sensation, qui l’avait
bouleversée, effrayée, une sensation qui s’était interrompue,
qui devait reprendre à l’endroit même de l’interruption. Elle
reconnut le trouble, la fraîcheur, la peur. Elle vivait ce rêve
récurrent d’une course-poursuite, de sable collant à ses pleurs.
« Il laissa sa main peser sur la nuque rousse. »
Elle était ravie. En apesanteur, auréolée. Dans le livre, elle
passait la pointe de la langue sur ses lèvres devenues sèches et il
n’avait pas d’autre choix que de renverser sa nuque et de
l’embrasser longuement ; ou bien sa main brune libérait
soudain la chevelure ondoyante qui dégringolait jusqu’à la taille
ou alors il ne pouvait faire autrement qu’enserrer cette taille de
ses deux mains : il fallait un peu de violence, un semblant
d’enlèvement. C’était écrit. Qu’il se passe quelque chose
qui ressemblât à cela. Il le fallait, pour le cœur battant, la fin
du livre. Il fallait que les phrases soient juste assez longues, la
page juste assez pleine pour qu’elle ait le temps de retrouver le
mot perdu. Elle attend la pâmoison, le suspens du vent, l’apothéose.
Elle
serrait toujours le livre contre son sein, elle voulut encore en
couvrir le dos de sa main libre, jusqu’ici plaquée contre sa
cuisse pour retenir l’envolée de la jupe. Elle manqua son geste –
un problème d’amplitude - qui franchît une loi invisible,
par erreur : sa main se posa à plat sur la poitrine du jeune
homme. Ils restèrent ainsi un certain temps, par les mains en appui
l’un sur l’autre, en imposition, une géométrie étrange entre
nuque – bras tendus - poitrine. Il céda le premier. Il devint un
petit chien sage au regard triste et aimant.
Elle
pouvait bien se lever, maintenant, et chuchoter Emmenez-moi,
J’ai tellement chaud. Tout
est faux. Tout est toujours vrai.Elle
pourrait bien se dresser et chuchoter Cessez.
Je suis l’épouse de votre frère.Elle
aura pu chuchoter Beau
frère, joli frère.
Elle
cache le livre derrière son dos, l’index à l’intérieur
marquant encore la page entrouverte. Elle trouve la désinvolture
nécessaire pour engouffrer l’ouvrage de mauvais papier dans son
sac de paille brodé, dont elle passe l’anse à l’épaule :
son doigt reste glissé entre deux pages, la pointe de l’ongle posé
sur une ligne, un mot, celui qu’elle n’a eu le temps de
déchiffrer. Qu’elle n’a donc lu, à cause du vent qui avait
tourné. Elle le lira plus tard. Ce sera si joli. Elle aura
bientôt le ventre lourd d’une matière fécondée avec ou sans
jouissance. Elle aura dans la bouche comme un goût d’amande rance
qui déforme les lèvres et plisse le front. Elle quitte
définitivement la plage. La mer miroite et se tait.
Paris,
mai 1985
Cela
a commencé avec lenteur, ses mains à lui sur le clavier ivoire
jauni, feintes noires, des mains longues et maigres et brunes, piano
crapaud, bois caramel, au quatrième étage d’un immeuble
haussmannien, portes fenêtres hautes et vitrage dépoli sur balcon
long et étroit, donnant en biais sur le parc Monceau, ses
marronniers, et peut-être même, en se penchant un peu, sur la tour
Eiffel dans l’air à peine bleui.
Cela
a commencé avec douceur, les trois pieds du piano caramel
s’enfoncent dans le tapis pourpre, un jardin, les pédales de
cuivre craquent un peu sous la pointe de ses chaussures, cuir noir
fatigué, tandis que les mains posent les accords, lient le sujet, à
mi-voix quelques ornements, les doigts retiennent pour plus tard leur
force leur rapidité. De la chemise blanche les poignets à revers,
fermés par des boutons de manchette anachroniques, s’échappent et
font de curieux manchons, dépassant du velours vert bouteille de la
veste, début des années soixante-dix ce costume, velours ras pattes
d’éph’ col à triangles jumeaux fort larges, l’un des trois
costumes identiques hérités de son grand-père, avec en prime la
Simca blanche, cela je le saurai plus tard. Tout est calme encore,
juste assez allègre.
J’entrerai
dans le jeu à la bonne hauteur, j’imiterai l’exposé du thème
donné par le jeune homme, je recopierai son phrasé, presque note
pour note, ça je sais le faire, imiter, faire comme, suivre, coller
aux basques. J’entrerai en catimini, en tranquillité et sans
éclat, avec modestie et sans terreur, tenant par habitude ma place
de deuxième, l’alto après le violon n’est-ce pas, et avant le
violoncelle, ce benjamin en tragédie constante, d’ailleurs la
sonate n’a été écrite ni pour les uns ni pour les autres, mais
pour arpeggione et piano, ici version (abâtardie) alto et piano.
Arpeggione, instrument fantôme, inexistant, je m’y coule
volontiers dans cette inexistence, pas de risque d’imposture, je ne
vole la place de personne, je suis moins qu’éphémère. Calme. Je
dois lui prendre, à ce pianiste, le sujet des mains, un peu émue
mais n’en laisse rien paraître, à mon habitude, j’ai eu le
temps tout le matin de ma reconstruction quotidienne, os tendons
muscles souffle, en résonance. Un sang-froid de survivance, une
mélancolie un peu nasale et sourde, sans cris, ceux-ci restés dans
la gorge aiguë du violon, aussi sans une colère, de celle qui
bouillonne dans la caisse d’un violoncelle. Je ne suis qu’altiste
et de seconde place. J’emprunte par sa propre écriture et par sa
facture organique la voix d’un instrument conçu entre guitare et
violoncelle. Double calque, double opacité. La seule
œuvre, une sonate, composée pour ce bizarre instrument en son
temps, 1824, par un maître d’école à petites lunettes cerclées.
«Per l’arpeggione». Schubert. Je suis un arpeggione. Au
piano ce jeune homme maigre vêtu de velours suranné, qui avance le
sujet sur un coussin, à plat, en offrande, qui lève à ce moment un
regard noir et comme exclamé sur moi. Cela me fait un peu sursauter
du cœur, en discrétion, il n’y paraît, je baisse les yeux. Le
thème, comme d’un pain chaud sous l’archet les cordes l’épicéa
odorant, s’élève mais décélère déjà, décroît, s’étonne
une fois ou deux encore, retourne au piano. Puisque je veux bien
redonner la main, soulagée de n’avoir point monopolisé de trop
l’attention. La musique de Schubert, des mots sous chaque note. Je
les entends bien, aussi nous bavardons, ou plutôt le pianiste fait
la conversation, avec politesse et moi qui suis si inexistante, avec
cette instrument-sonate qui me dispense de vibrato puisque les frettes sur
la touche n’est-ce pas, nul besoin de vibrer comme pour, disons,
Brahms, ou Schumann, je ne suis pas romantique, je ne sais pas aimer,
j’ai vingt-trois ans et toujours pas de cœur, arrêtez de biffer
mes partitions de signes croissants et décroissants en rouge.
Musicienne par défaut, oui, ce qui me retient encore, cet alto, son
bois couleur miel, sa délicieuse odeur, ses f inclinés, il veut
bien n’être qu’arpeggione, il s’adapte à ma petitesse, nul
éclat, ou par-ci par-là deux trois accords, nous sommes en
résonance. Fusionnels. Ou c’est ce que je crois. Cet allegro, deux
parties chacune avec reprises, j’ai le temps, j’ai les mots
simples, j’ai été triste, je suis triste, je n’ai jamais joué
à la marelle, je ne sais pas jouer, j’apprends vite, j’oublie
lentement, je parle peu mais j’écris beaucoup, je pleure souvent
mais seule, je ris peu mais je souris, je lis, je lis, je cherche
pourquoi dans les livres, pourquoi la jeune fille paisible et
souriante, je cherche dans les livres ma propre histoire, mon livre à
moi est vide, sans pages, sans rien, sans corps sans enfance sans
chair. Je peux dire ça, le
dire et le retourner dans tous les sens, et le répéter, et revenir
toujours au même endroit, la mineur, que je monte ou descende
l’escalier de la maison de Six-Fours poursuivie par l’ancienne
jeune fille souriante ou que j’enchaîne des gammes, c’est la
même chose, c’est la même chose.
Je
quitterai le jeu, je retournerai aux murs nus, au silence, aux livres
serrés, bien que cela ait commencé avec douceur, les mains brunes
du pianiste en costume désuet sur mon corps, cela finira aussi, les
manuscrits de musique ancienne, les visites chez les luthiers où je
disparaitrai, muette et immobile devant l’établi comme devant une
énigme, puisque d’une pièce d’érable d’un outil d’une
épaisseur à force copeaux la table d’un violon vient au monde.
Avec lenteur.
Six-Fours-les-plages,
1971
Bouge,
quitte cette chaise.
Tu
sais bien que ça va venir, ça monte, c’est sur les rails.
Toujours
dans la cuisine, là que tout commence, dans la
cuisine-buanderie-salle de classe, entre huit et midi le matin, ou
quatre et sept après aujourd’hui Madame. Quand Elle était
petite fille, quand Elle était écolière, quand Elle était
collégienne, quand Elle était à son premier bal. La baguette des
bas dessinée au crayon noir sur les jambes nues, les souliers après
les godillots. La Dordogne à bicyclette. Les bombardements sur les
quais. Le grand-père méconnaissable descendu en gare St-Jean les
oreilles décollées. Les copines, Pierrette, Monique, Annie.
Première de la classe. Le bel espagnol de la rue Fonfrède.
Bouge.
La
spirale s’étrécit, soliloque serré, les mêmes paroles, les
virgules placées aux mêmes endroits, avec des gestes par-dessus
l’épaule, des mouvements du menton. Le robinet fuit. Goutte sur la
casserole renversée dans l’évier. Le dentiste de la rue
Sainte-Catherine.
Ne
bouge pas.
Efface-toi
de son regard, Elle le garde perdu, lointain, levé au globe rempli
de mouches crevées tant mieux si Elle ne te voit pas il y a une
chance. Si Elle voit que tu ne la regardes pas, il y a une chance. Si
Elle voit que tu la regardes, il y en a une aussi.
Bouge !
Quitte cette chaise !
Disparais
de ses yeux. Pour l’instant Elle parle toujours, toi et ta sœur
vous ne dites rien. Des fourmis aux cuisses. Vous ne baissez pas le
nez sur vos cahiers. Vous ne regardez pas ailleurs. Sages. Des yeux
blancs levés vers Elle. Elle soliloque en se mangeant les envies,
les fesses contre l’évier, contre le poêle à mazout. Quand
j’avais votre âge.
Baisse
les yeux.
Elle
se retourne gifle le robinet, va secouer la cocotte-minute chuintante
sur le feu. Rital, Elle-dit. Le chien, dans le couloir, se précipite
en aboiements contre la porte d’entrée. Le facteur, ou la câtin,
ou des écoliers dans la rue. La toupie de la cocotte tourne.
Vacarme. Elle soliloque toujours, Elle pousse de la voix. Ça
l’arrange bien Lui, des économies, que si vous alliez à l’école,
moi les pissenlits par la racine. Elle tend le bras, montre de la
main par-delà murs, routes, un bureau dans les Chantiers.
Bouge,
glisse de cette chaise, file c’est le bon moment.
Où
tu vas ? Elle dit. Où tu vas ?? Elle crie. Rital sale
graine de rital baisse tes grands yeux faux-culs flemmarde cossarde
tu veux ma photo ? c’est fini cet exercice ? un doigt
dans la bouche un doigt dans le cul, moi, mon baccalauréat oui,
putain de famille, une intellectuelle quand j’ai accouché le
docteur il a dit Madame est une intellectuelle oui parfaitement
j’aurai pu faire Sorbonne, assis-toi recommence recommmeeennnce
grosse feignasse regarde ta sœur elle a fini elle, lève tes putains
de yeux quand je te parle, les mêmes que l’autre fainéant de
communiste et le droit de cuissage tant qu’on y est hein me regarde
pas comme ça insolente baisse tes yeux Elle hurle baisse tes yeux.
Son
regard de fureur, son regard de haine. Je t’avais bien dis de
bouger de cette chaise. Tu l’auras voulu. Tu n’aurais pas bougé,
ce serait pareil, une main retournée, vlan et ce serait fini.
Maintenant tu sais bien qu’Elle va te rattraper. Tu peux toujours
glisser, de cette maudite chaise, et te cogner contre l’encadrement
de la cuisine, rater le virage vers l’escalier, tu peux en finir
plus vite, ce sera fait, jette toi alors à droite contre la porte
d’entrée, de toute façon Elle est sur tes talons, Elle est sur
toi, voilà Elle mouline déjà, Elle crie toujours, tu te cognes la
tête fort contre le bois épais de la porte, K.O. au sol, une tortue
sur le dos, ah, le chien s’en mêle, il gueule, il s’énerve, pas
autant qu’Elle, mais Elle en a peur, vas-y, profites-en, remonte le
couloir, bang, cogne le tabouret contre le piano droit,
le voisin tapera au mur, ta sœur veut calmer le chien, ta mère te
poursuit dans l’escalier, oui, bien, tu es parvenue là, à quatre
pattes deux par deux les marches irrégulières et hautes, quelques
bleus aux tibias, dans le tournant tu frottes contre le mur chaulé
le coude écorché et blanchi, Elle est derrière toi, Elle ne crie
plus, Elle ahane dans l’escalier, Elle court droite les poings
serrés les coudes collés au corps, les genoux remontés haut, tu ne
t’arrêtes pas au palier, tu n’entres pas dans la salle à
manger, pourquoi, mais pourquoi ?
Pas
la salle à manger,
pour
la télé, le soir, le père, les infos, les dossiers de l’écran,
aujourd’hui madame, le buffet la table les six chaises le
meuble télé en merisier, oui, en merisier plein qu’il ne faut pas
abîmer, et le fauteuil du père son whisky et le canapé raide pour
la mère, tout près du père,
pas
la salle à manger,
contre
la cheminée qui ne sert pas entre deux lés de tapisserie à
feuilles de chêne ( ?) dorées sur fond gris façon
passementerie la petite bibliothèque blanche, Victor Hugo et
l’Histoire des civilisations de Will Durant en 32 volumes reliés
façon cuir, tu les liras tous, tu as déjà commencé,
pas
la salle à manger,
réunion
de la petite famille modèle et artiste mère intello père ingénieur
chaque soir pour la messe télé sauf bisous dans le film c’est pas
pour vous les filles allez vous coucher, et les jeudis puis mercredis
après-midi, Pollux, Kiri, Belle et Sébastien, Zorro,
pas
la salle à manger,
repas
de famille deux trois fois l’an, l’arbre de Noël, les séances
photos, la chaîne hi-fi du père, les 33 tours de la Guilde du
Disque fenêtres grandes ouvertes, Brahms et Beethoven, Mozart pour
la petite violoniste, les cours de violon par correspondance, tout
arrive par le facteur tout, les vêtements, le père Noël, l’école,
les souscriptions,
pas
la salle à manger,
donc
troisième virage dans l’escalier vers le grenier, si Elle est
essoufflée, ce sera bon, sinon, sprint final, Elle t’attrapera par
les jambes sous ton lit à couvre-pointe chenillée, comme aux
toilettes, tu es un lapin acculé, Elle a des bras des mains mille
mains mille bras qui font la roue, alors « rouer » cela
doit venir de ça tu penses en cachant ta tête derrière tes bras,
tu ne cries pas, aucun son ne sort de toi, d’Elle non plus, c’est
le chien qui hurle, le chien jaune retenu par son collier rouge, sur
la plus large marche du milieu de l’escalier. Le voisin cogne à la
cloison derrière le piano droit.