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Station I, 3

Le Brusc, été 1971



Sur la presqu’île, le soir venant dilue dans la mer le bleu du ciel en nappes violettes et noires. Le Gaou fait le gros dos, pachyderme avachi et gris, crâne anguleux, dos empoussiéré d’argile rouge. Ramassé sur lui-même, gigantesque, à demi affalé dans la mer, les yeux clos sous des paupières verruqueuses, et les lames irrégulières des roulis, levés par le vent du soir, se désagrègent en explosions contre les griffes en cimeterre qui réapparaissent, à chaque recès des vagues, plus luisantes, plus acérées. Je joue entre les antérieurs du Gaou, dans ce sang d’écume, à taire le mien qui sourd d’entailles aux pieds, aux chevilles, par coulures et résurgences vermillon. L’os dénudé, la chair lacérée, comme des nacres lavées, le sang affluerait-il au même rythme que les vagues, sans les crépitements, mais les brûlures. Il existe un moment fugace juste avant le surgissement vermillon, on voit alors des capillarités infimes, des orifices roses comme des têtes d’épingles minuscules, presque invisibles. Les blessures fouettées de sel donnent à contorsions sur les pattes plissées, dans les crevasses abrasives de la peau du Gaou, celui-ci impavide dans ses écailles de schiste, innervé de quartz blanc, et que les coups de boutoir de la mer et du vent ensemble n’érodent pas même de quelques microns, chaque soir et plus encore les grands jours de tempête. Des phyllades. Sa peau de pachyderme est cuirasse de feuilles minérales assemblées. Feuilles blanches, feuilles grises, marcher nus pieds en équilibre sur ses tranches affilées.
Elle est assise toute droite, genoux et chevilles joints, les pieds à plat sur la natte de paille, à même un méplat dans une clavicule de la bête aux chairs dures, en retrait des gerbes crépitantes; les pieds noueux, épaissis par une corne jaune aux talons et aux petits et gros orteils; chevelure mi-longue à rousseur délavée; lèvres plissées serrées; l’arrondi gras du bras, le short informe sur des cuisses blanchâtres variqueuses; l’échancrure en V du corsage, à manches courtes, le collier de grosses perles de bois, l’entame d’une cicatrice rose à la naissance du sein gauche; Elle lit, un petit livre de mauvais papier écorné par le vent. Je joue en contrebas, gardée à distance par ses brefs coups d’œil qui tiennent en respect, entre mer profonde et Elle qui lit –je sais déjà le titre, ai repéré la couleur-, entre Elle et par-dessus moi la mer profonde, le tombant gris brun dans lequel a disparu un homme en néoprène noir.

C’est l’homme du bal, métamorphosé. Ceci je le sais. Et aussi que la mer cache des pieux de sel.

Elle attend, sans plus le savoir, elle lit et elle attend, ce qui est alors la même chose, le ciel s’asphyxie en violacés, elle attend le moment où la vie se superposera au livre, ou vice-versa, et elle ne sait pas qu’elle est dans cette impatiente-là. Parfois, elle prend un peu d’avance sur les pages, les chapitres, elle anticipe, ses lèvres remuent, des fureurs passent sur ses traits, les brouillent, regard fixe, happé par des scènes visibles d’elle seule, qu’elle espère écrites pour la vie. Sa vie. Par-dessus ma silhouette courbée et sautillante elle cherche des yeux le corps de l’époux qui flotterait enfin, ni trop près qu’elle ne doive agir, ni trop loin qu’elle ne puisse le reconnaître. Elle s’en fait un roman. Et alors elle se dresserait, elle ne serait plus assise au vent, elle porterait la main à sa gorge, d’abord sans voix, et puis elle crierait, et ce ne serait que de petits cris inaudibles à cause du vent si fort et des lames, et puis de plus en plus métalliques, aigus, et quelqu’un viendrait enfin, qui tirerait le corps inerte hors de la mer sans pouvoir lui éviter les chocs les raclements contre les roches. Mais ce que la mer expulse en réalité est une trident tenu à bout de bras, quelque chose s’y tord, des serpents empalés sur une foëne tendue vers le ciel violet. Pour de vrai, Elle porte la main à son collier, et malgré le vacarme du ressac dans les griffes du Gaou j’entends ce qu’Elle dit, ou plutôt je la sais la petite phrase rituelle, l’exclamation qui oscille entre soulagement et déception, et je sautelle d’un pied nu à l’autre sur le schiste feuilleté et tranchant. Son regard, par-dessus moi, vers la mer maintenant grise et orange, et affleurent aussi des excroissances dorsales, jaunes. Le soleil chute d’un coup à fleur d’horizon, la mer est une améthyste, son vacarme terrible. Le voilà, dit-elle. Par dessus moi un hublot comme un œil unique la fixe, Elle. Un masque, des borborygmes comme hurlés, puis un second bras luisant de matière sirupeuse fait signe, par ici, venir, puis s’affaisse, disparaît entre deux lames à la faveur d’une brève étale de la mer, et des remous en typhon, de l’écume, du caoutchouc liquide l’avalent à nouveau. L’époux, l’ancien homme du bal, retenu par la mer, peut-être par une cheville, se débat, tourne et vrille sur lui-même. Son crâne cagoulé pointe une trajectoire entre les plaques imbriquées de la carapace, un passage bouillonnant et, entravé du poids des bonbonnes d’oxygène, le bras à la foëne toujours brandi hors de l’eau pour une prise qu’il ne veut rendre, Il se rapproche. Elle, elle se dresse inquiète, indécise, debout les pieds bien à plat sur la natte de paille. Elle hésite. Finalement elle pose le livre ouvert face contre les phyllades, elle chausse des sandales et entreprend depuis l’abri du méplat une descente en travers, en crabe, les bras écartés du buste, les genoux en dedans. Je rejoins courant à quatre pattes, mains pieds singe, le lieu d’accostage, à l’aplomb du tombant, et c’est moi qui reçoit le fusil jeté, grouillant de tentacules. Des mains velues des avant-bras s’agrippent aux roches glissantes d’algues brunes frisottées comme les smocks d’une robe qu’elle porte parfois, et l’œil vitreux du hublot migre sur le front, cherche par derrière moi Elle, vient-elle enfin. Il crache l’embout, articule quelques sons, les lèvres encore boursouflées d’avoir été distendues par l’appareillage de tuyaux flexes, bave et morve des humeurs visqueuses engluées dans la petite moustache noire. Il parvient à stabiliser, à s’agripper, il l’appelle par son prénom, il l’appelle Elle à l’aide, qui tarde, avec une détresse nasale, il l’appelle Elle à son aide, le torse à moitié extirpé de la mer, il ne peut pas faire autrement entre les pattes du Gaou, il a besoin d’Elle. Qui s’avance le moins possible. Un bruit de raclement d’acier contre les rochers, creux contre plein, elle lui a tendu une main, il se hisse, dégoulinant, ses jambes palmées passent la rampe, il peut pivoter, s’asseoir, adossé au pachyderme impavide, et Elle le retient sans vérité et avec dégoût, par le ceinturon plombé orné de gueules asphyxiées, d’ouïes rosées.

Entre mes jambes nues, toujours empalé sur la foëne, un poulpe martyrisé, sa pupille rectangle. Je voudrais faire quelque chose pour lui, mais ses chairs de nacre sont prises, le délivrer lui causerait encore plus de souffrance. Je regarde ses tentacules s’anneler doucement. Je le caresse jusqu’à la fin.

Enfin debout, démis de ses réserves d’air, titubant sur la roche, en collants et grenouillère de néoprène, engoncé, raide, il rit comme des pleurs, tant d’effroi pour si peu, les cheveux collés bas sur le front, le sel cristallise les cils, les sourcils, rougit les paupières. Jambes encore arquées et tremblantes de l’effort, il déboucle le lourd ceinturon, les poissons crochetés paraissent soudain si petits. Quant à Elle, elle n’en a pas terminé avec lui. Elle le secoue, le brutalise. Arrache les palmes, dégrafe la barboteuse, lacère son dos. Par lambeaux elle le dépèce de la peau de caoutchouc noir. C’est difficile, froid, cartonneux, visqueux, comme fondu au corps de l’époux. Elle tire sur le néoprène comme on retire un peau d’anguille, par dessus tête et bras joints tendus vers elle comme pour une supplication. Cependant il invective, il halète. La mer, de loin, soude de sel ce derme puant et épais au corps velu. Il geint, étouffe. Il rit d’angoisse. Il insulte encore. Elle, elle est prête de pleurer et en perd toute force, toute logique, affolée et furibonde de ce qu’elle n’a su faire, de ce qu’elle n’a pas la force de faire, par dégoût de l’eau lourde et salée, du corps poisseux et gras de cet homme qui est son mari, au bal il portait moustache monégasque et costume trois pièces, dansait-il mieux que le frère beau frère joli frère.

Caillou