A la grotte de nouveau
je me rends, nul besoin de m’y conduire je sais le chemin,
traverser la salle d’eau borgne, près du lavoir la porte, le
bouton en losange de la clenche, haut droite l’interrupteur à
levier, quelqu’un fermera derrière moi, quelqu’un qui ne
comprend pas mais qui claquera la porte quand même, des yeux, du
regard, entre mes omoplates je le sens qui me pousse parce que je le
fuis, puisqu’il me retient, ou veut, croit, me tenir. Aurai-je le
temps ? M’enfoncer dans le cellier, à hauteur de l’établi
gravir les sept marches taillées dans l’argile, voilà, j’y
suis. La citerne. La lumière s’éteint. Celui qui me suivait aura
donc claqué la porte, abaissé l’interrupteur à petite boule
ronde, chromée, je suis dans du noir, de la peur, tout au fond le
jour transfuse autour du vantail épais que j’atteindrai, le cœur
blanc. Deux verrous à barre, rouillés, pesants de ma peur,
grincements graves des gonds et. La lumière grise du chemin de
ronde.
Depuis la mort de R je
fais tout pour ça, retourner au cellier, et puisqu’il n’existe
plus, je le réinvente. Cellier, cave. Ou grotte. J’y ai peur. Tout
est là. Les odeurs, les résonances mates. L’humide. Je cherche
quelque chose qui y est mort, qui a été vivant, qui le serait
encore. Une menace. Un anéantissement possible. Quelque chose de
démesuré et de destructeur. Dans des odeurs d’huile de vidange,
de néoprène craquelé. De pourriture minérale. Les bruits gras des
outils. La poussière vieille et jaune du mortier, du sol. Des
cadavres recroquevillés, d’insectes. A la cave-grotte-cellier je
reviens, régulièrement. Je cherche ou j’attends. Quelque chose.
Quelqu’un. Je me cogne. Tourne autour d’une entité massive et
délétère. Un lieu de grand péril. Y mourir. Suicider mes amours.
Des homicides.
Je
dis « grotte ». Mais je ne suis pas sûre de ce mot, il renvoie à
une mythologie incomplète. Par excès. Bachelard la présente comme
un lieu ami, un refuge, quelque chose de pastoral, rassurant. Le lieu
des amours cachés. Paul et Virginie. Lierre, lianes, oiseaux-mouches
multicolores, enchevêtrements végétaux à son entrée.
Un
feu, des couches d’herbes sèches, un campement excitant,
aventureux. Tentatives enfantines de robinsonnades. Repaires pour
fugitifs ou contrebandiers. La mer en contrebas.
Nymphes
et demi-dieux.
Je
pense caverne. Homme des cavernes et les peintures, les expressions
du réel. Des chasses. Des vies quotidiennes. Le plic-ploc de l’eau
suintant d’une concrétion calcaire verticale.
Grotte.
Sexe des femmes.
Glotte.
Cri, parole. Coup de glotte. Chanter.
Je
dis grotte pour chercher sens, me raccrocher à une mythologie
universelle.
Je
n’ose dire : Sépulcre. Sépulture. Sainte-Baume.
Je
ne peux pas dire « cave ». N’était pas sous la maison. Mais dans
son prolongement. Un sphinx couché, oui, ça reste cette image, un
sphinx, gros chat bizarre, pas vraiment gentil. Un puits horizontal,
des énigmes sans réponses : pourquoi, comment, qui ? Tout le
monde le sait : une cave pour la peur. De la cave retenir
l’horrifiant possible (araignées, zones noires, poussières
vieilles, assassin ou mort-vivant, décomposition :
guignolesque). Je ne peux pas dire « cave », il ne s’agit
pas de la peur commune relative aux caves. Et puis ce n’en était
pas une. De cave. Dans le sens d’une cavité entourée de
fondements, soit fondations (supportent et érigent la construction.
En principe). Ici, la maison est bâtie dos à la colline,
directement sur la glaise. Autant dire sur rien. Un séisme et elle
glisserait jusqu’à la route départementale, emportant sous elle
la maison de Madame Angèle et la boulangerie. Avec un peu d’élan,
elle franchirait le petit col d’Artaud, puis ça descendrait
jusqu’à la mer. Peut-être bien.
Je
redis « cellier » : prolongement arrière vers les
tréfonds. Non pas sous-sol : possédé comme un fonds
(quoique). Ni entresol (entre la colline et l’eau salée). Je suis
sans fondations. Sans appuis. Je peux dire ça. J’en ai le droit.
Je connais l’envers du décor et sa machinerie. L’entrée dans la
maison par sa bouche, s’enfoncer dans son intérieur qui, tout en
longueur, s’obscurcit et se dérobe, cordes et poulies, mécanismes.
Dos à la colline (cistes, pins, caillasses). Butée contre elle,
non : entée. Une double écharde dans sa chair glaiseuse. Ou un
décrottoir. Derrière la façade blanche un empilement biscornu de
pièces, une tour à trois niveaux, érigée à même la terre, sans
vide sanitaire, en représentation sur la place du quartier. De bas
en haut : couloir et cuisine, salle à manger, petite chambre au
grenier. Derrière ces pièces, entre les tenons des murs plus ou
moins fichés dans la colline, les coulisses : salle d’eau
borgne puis cellier, deux alcôves au premier dont la chambre des
parents à mi- escalier, au second étage derrière la petite
chambre, le reste du grenier. L’escalier et les murs sont comme
pétris. Par-ci par-là, pour rattraper les niveaux (la pente de la
colline est importante) des marches peintes en rouge. Seule
l’enfilade du rez-de-chaussée (couloir, salle d’eau, cellier)
avec son déroulé de seuils rouges et de portes à clenches, de
ténèbres en ténèbres, mène de part et d’autre au jour :
depuis la porte bleue sur la place du quartier au vantail tout
au fond du cellier, qui donne sur le chemin de ronde.
Dire
« cellier » ? La nourriture, les conserves, bocaux,
tisanes. Du vin. J’ai connu un vrai cellier plus tard. Son joyeux
et précautionneux usage. Comment dire ce cellier ci, qui a dû
cependant servir autrefois à tenir le vin, puisque, appuyées contre
les murs, les carcasses des fûts, moins que ça, les cerclages
d’acier, gigantesques, un homme aurait pu se dresser dans le cercle
bras et jambes tendues. Comment dire « cellier » afin que
plus personne ne puisse jamais prononcer ce mot sans que le cœur lui
saute d’une peur précise, la mienne, qui est comme un
engourdissement face au danger, de mort, près d’un mort qui bouge
encore, celé, caché dans la citerne du cellier ?
C’est ce que nous
disions : le cellier. Il faut aller au cellier, va au cellier,
bon je suis au cellier… Un mot mal utilisé. Mais c’est ce que
nous disions. Nous. Eux, Ils disent encore « nous ».
Depuis, je suis partie de Leur « nous », dissociée,
asociale, Ils n’avaient qu’à ne pas me mentir, me tromper sur ce
que montrent les mots, sur leur utilisation, par exemple pour montrer
des objets tout différents de ce que « on », les gens,
tout le monde, auraient montrés en les désignant. Les choses et les
objets. « On » dirait « cellier ». Les
« nous », « Eux » dorénavant, disent aussi
« cellier » mais le lieu ne représente pas la même
chose. Leurs lèvres prononcent « cellier », mais dans
Leurs bouches c’est une cave. Ou un caveau déguisé en cave. De la
peur déguisée en nécessaire et précautionneux usage. Le mal est
fait. C’est comme « école ». Les gens disent « aller
à l’école », « comment ça va l’école », et
« Eux » Ils disent oui, ça va bien, un peu flemmarde
mais ça va, mais ce que les gens ne comprennent pas, c’est que
l’école des « Eux » n’est pas la même que celle de
tout le monde, ce qu’ils n’entendent pas, tous ces gens, c’est
que je veux aller à l’école de tout le monde, je ne veux plus
être dans le « nous », je veux le « on »,
alors que « Eux » Ils font semblant de croire que le mot
« école » qu’Ils utilisent et qu’Ils mettent dans ma
bouche (hein, ça va bien pour « nous » l’école,
hein ?) représente tout pareillement l’école des gens, des
autres enfants qui disent par exemple, « aujourd’hui on a
école ». Alors que je n’y vais pas, à l’école, que je
n’y suis jamais allée, que je reste pour toujours dans la cuisine
ou au grenier, et parfois au cellier.
Où
sans cesse je retourne, depuis la mort de R. Aller au cellier
chercher du fuel, avec le récipient dédié à cet usage : une
sorte d’arrosoir en aluminium, un couvercle à rabat avec bouton,
le bec non pas coudé, mais cassé à son extrémité,
anthropomorphique. La cuve à fuel, en vis-à-vis du bassin
rectangle couvert. Ou citerne. Pour récupération des eaux de pluie
ou de source. Couvercle de tôles et de plaques de bois aggloméré.
Devoir tourner le dos à la citerne pour remplir l’arrosoir à la
cuve de fuel. Se positionner en biais, ne pas tourner le dos au fond
noir du cellier, ni à la citerne, rester prête à bondir, le temps
que le filet d’huile rose emplisse le récipient. L’odeur (terre
confinée, huile de vidange, fuel, autre chose).
Se
distraire. A droite l’établi du Père. La petite lampe au- dessus
de l’établi. Les outils. Plus ou moins rangés. Tels qu’ils ont
été quittés.
Le
cellier. Est-ce un refuge ? Se réfugier là des fureurs de la
Mère, (qui, Elle, ne va que rarement au cellier. Parfois ça Lui
prenait, Elle arrivait avec un tas de choses, remontait le bitoniau à
petite boule chromée, haut droite dans l’encadrement de la porte
accessible depuis la salle d’eau borgne, Elle soulevait la clenche
et poussait bruyamment la porte, comme pour s’annoncer ou inquiéter
l’ombre, et Elle jetait de toutes ses forces les choses, tantôt à
gauche tantôt à droite, avec ou sans comptabilité de cette
alternance : nacelle de poussette, linges souillés, jouets
confisqués, baignoire ou vélo d’enfant, hop, et si les choses
étaient pesantes, Elle risquait un pas sur le paillasson, dans la
découpe de lumière projetée depuis la salle d’eau borgne, et
Elle se déchargeait des choses lourdes ici, en hâte, sur ce
littoral de corde, avec un han sonore. Puis Elle se déjetait sur la
terre ferme en catastrophe, désarticulée, livide, et touchait d’une
main superstitieuse la machine à laver, une lessiveuse recyclée en
table à langer à l’exact surplomb de la ravine du lavoir, où le
petit frère, Mon drôle disait-Elle, demeurait assis là-dessus,
bouche ouverte, tandis qu’un peigne de corne chantournait les
boucles encore blondes en rouleaux, sur le côté droit),
se
réfugier là des fureurs de la Mère, de l’atmosphère
oppressante. Ne savoir longtemps aller au cellier spontanément,
seule, par décision.
Etre
prise en otage par le Père, au cellier, pour l’aider à nettoyer
la moto.
Aller
cherche du fuel au fond du cellier. Ça, toute seule, j’ai toujours
peur : scrute tout, mets de l’espace dense entre les choses
identifiées, entre quelqu’un et moi ? Tenir à distance. Le temps
de remplir l’arrosoir et de filer, sans courir alors qu’on
voudrait, sans se retourner sinon on lâcherait l’arrosoir plein,
sans tourner tout à fait le dos à ce qui geint au fond du cellier.
Avec
le Père, j’ai moins peur du cellier mais j’ai encore plus peur
d’autre chose. De quoi ? Je ne pose pas de questions, sur rien. La
peur de Lui, le Père, supplante la peur du cellier. Je préfère la
peur de Lui, un temps, après je ne peux plus, je préfère la peur
de la Mère. J’y suis habituée.
L’exercice
de résistance contre la Mère m’épuise. Devant le Père, je
panique. Mais ça ne se voit pas. Je suis encore plus silencieuse.
Devant chacun d’Eux, je reste muette et docile. J’attends. Que le
temps passe. Qu’il soit l’heure du grenier.
Pour
lequel j’aurai aimé dire cellule, pour les instants de répit
(bonheur, paix ?) lors desquels j’échappais à Elle, la Mère.
Mais c’était court : une peur remplaçant l’autre. Et Elle
savait m’attraper sous le lit. (Le Père ne monte jamais au
grenier).
Ils
remplissaient tant mon espace (mental, temporel) que je ne pouvais
pas m’entendre. Je ne pensais pas. Au grenier, seulement. La nuit.
Ma cellule de moinillonne.
La
peur du Père égale la peur de la Mère. Devant elles ensemble, je
pleure.
Il
ne s’agit pas seulement des coups (de la Mère).
Il
ne s’agit pas seulement de la menace des coups (du Père).
Il
s’agit de Leurs folies, disjointes et additionnées, et de la
mienne.
Plus
tard, J’ai finis par m’enfermer moi-même au cellier pour
travailler le violon-alto. Déplacer la cellule. Pour sentir et avoir
quelque chose à exprimer. Pour donner ce coup de glotte
indispensable et chanter (à l’alto). Je n’avançais pas
très loin. Dans la première cavité, dans le bric-à-brac. Face au
noir de la seconde cavité, après la cuve de fuel, la citerne, fond
de scène devenant alors salle. Des rais de lumière font cadre au
lourd vantail grossier à double verrous. Qui donne sur le chemin de
ronde. Travailler là son alto pour qu’une mise en danger me fasse
sortir de mes gonds. Me fasse lâcher l’observation des lignes
géométriques que je traduisais par « tenir le fil du son ».
Ce qui s’empierrait dans mon ventre, qui ne sortait pas. Je ne
savais pas crier. La gorge sèche et dure. La glotte paralysée.
Pourtant
c’est encore là que je vais quand je cherche.
Les
rebuts. Une citerne. Le vantail sur le chemin de ronde.
Une
citerne.
Une
citerne dans le ventre, et le père dedans. Ma préhistoire.
Alors
dire caverne. Pierres sèches jointées mortier terre, autour de
carrière glaise taillée modelée, coulée de tuiles rondes
par-dessus, comme traîne. Accès par salle d’eau borgne, porte à
clenche en losange, s’ouvrant sur béance noire, bitoniau à petite
boule chromée droite haut, lumière ampoule, bric-à-brac rebuts
jusqu’à volée de marches épaisses, de glaise, projetant le sol à
hauteur d’homme, alors comme une caverne, aurais-je pu dire crèche
et son ravi, non, parce que, de ravie rien que mon enfance, et celée,
et enfermée. Vantail donne toujours sur chemin de ronde.
Donc
cellier noir comme cave grand comme caverne. A même la terre beige
du sol, des objets, des choses, des bidons visqueux, des bassines
pleines et oubliées d’huile noire. Des cerclages de tonneaux, non,
de fûts, très grands. Les bois n’y sont plus. Le chien est mort
là, empoisonné et seul. Enterré dans la colline. Un solex démonté
en partie. Sur deux tiers de la longueur de la caverne, le plafond
haut correspondant à un bout du grenier, rattrapant la traîne de la
charpente du toit qui bute, quasi, contre la colline. Les tuiles
romanes attachées à cause du vent. Des vagues inversées rouges
ocre tachées de gris, et nues.
De
la porte à la clenche en losange, douze pas, jusqu’aux sept
marches de glaise. A droite, au niveau de la première marche et qui
fait hésiter à poser le pied, une pierre d’évier débordante
d’eau croupie et grasse qui suinte du robinet fiché dans la base
de la citerne maçonnée. Lors des orages toujours violents l’eau
dévale l’escalier d’argile. En regard de la pierre d’évier et
donc de la base de la citerne, à gauche de l’escalier, la cuve à
fuel sur ses quatre pattes de fer. Plus à gauche encore, un
renfoncement assez vaste, l’atelier du père. Suspension tirée de
rien, ampoule à baïonnette, en manière d’établi des madriers
vaguement poncés sertis dans les murs, toujours le mortier de terre,
la glaise sèche. Un poste de radio gris et rouge, un étau,
encombrement d’outillage à main. Un tabouret haut et pivotant sur
lui-même. Sans doute une chaise de dessinateur, recyclage depuis les
chantiers navals, dépouillée de sa moleskine, l’assise et le
dossier, bois formé en concave, tubulure métal vert gris,
repose-pied idem circulaire. Quand Il s’y assied, le poids du
dossier se laisse influencer par la déclivité du sol battu. Sans
ajuster sa position d’un pied fermement agrippé au repose-pied ou
au sol, alors assis à demi-fesse, Il resterait dos à la citerne. Du
plic-ploc de l’eau nauséabonde qui goutte du robinet dans la
vasque souillée de filaments, jaunâtres et noirs.
La
cuve à fuel et la pierre d’évier comme des lions de pierre
dressés gardent les sept marches de glaise, épaisses, inégales,
craquelées ou glissantes selon les coulures et débordements
pluvieux. A l’arrivée : grotte, niche grande. Et tout un
réseau de planches qui font comme une espèce d’estrade aménagée
pour la moto, une BMW 750 noire et blanche, scène reliée au seuil
du vantail par une passerelle, un madrier encore, large, calé par
des parpaings. De l’autre côté, en vis-à-vis de l’engin, le
chapeau de la citerne, à ras du sol ici, en fait de couvercle un
amoncellement de tôles, panneaux d’agglo V20, bâches de vieilles
toiles de tente. Au centre, entre la moto et la citerne, le vantail
clouté et à doubles verrous donne toujours sur le chemin de ronde.
Je
dis cellier, cave, cellule, caverne, caveau. Et le cadavre de qui, on
n’en saura rien avant longtemps, des dizaines de retours au
cellier, à interroger les murs les outils la citerne.
Pour
la peur du cellier, la Mère disait la maison réquisitionnée par
les Boches et la pute du bout du quartier invitée ici bien trop
souvent, il s’en est passé des choses là-dedans. La pute
septuagénaire efflanquée avec ses sourcils épilés dessinés noirs
au pinceau, la chevelure au carré du même noir, comme encre de
seiche, crantée, et l’accroche-cœur sur la tempe, et toujours une
Gitane blanche au bec rouge sang, la vieille pute sa voix rauque
après ses chiens, Mirka Rocco et les autres en meute sur le chemin
de ronde.
Lui,
Il ne dit rien, répète juste qu’Il a tenu dans ses bras le chien
empoisonné et puis le frère expirant, a recueilli les derniers
souffles et peut-être même le dernier aveu (ce qu’Il ne dit pas),
après l’avoir longuement veillé, eaux jaunes et noires, Son chien
Pollux, Son frère, de celui-ci la chair et l’âme, au caveau
provisoire le polo blanc frais repassé, et le pantalon blanc idem
dont la jambe gauche un peu affaissée.
Et
Il osera dire mort dans Mes bras quand, alors, mort de Son bras, et
le caveau provisoire n’était pas le premier, mais bien le second,
le premier fut le caveau-citerne trente ans durant. Et le veiller,
non, certes pas, mais bien, le surveiller, perché d’une fesse sur
la chaise haute pivotante, rester en biais ne pas tourner le dos à
la citerne, ajuster la position, les semelles agrippent l’anneau
tubulaire et verdâtre, sinon, à cause de la déclivité du sol, du
poids du dossier, de son propre poids, c’est la loi de la gravité :
la citerne dans le dos. Le surveiller oui, la citerne dans le champ
de vision gauche, sous l’ampoule faiblarde à baïonnette, l’établi
à droite collant de limaille sciure graisse. Et rester penché
cependant au-dessus de l’étau, sur la mâchoire d’acier lourde
qui tient par la nuque une petite pièce de métal ou de bois qu’il
faut limer, encore et encore, rester attentif, oui, mine de rien,
dans la poche et son mouchoir par-dessus, à la lente décomposition
érosion de Mon propre frère entre deux eaux dans la citerne
couverte. Et le surveiller, oui, bien sûr, non pas de ce qu’il
puisse bondir, le frère, hors de la citerne en bousculant renversant
le couvercle, parce que, avant de soulever ça, hein, V20 tôles
parpaings, ça non. Mais surveiller ce qui goutte de ce robinet,
malgré les occlusions réparations tentées, rubans à joints,
caoutchouc noir découpé dans les chambres à air, graisse jaune de
bloc-cylindres, ce qui goutte et qui empeste comme puait ce chien
empoisonné qui se vidait en liquide infects avant de mourir là,
seul comme un chien. Toujours quelque chose à limer, ajuster, et le
poste de radio gris et rouge qui ne marche plus. Alors chanter
siffloter un oranger, au cellier limer l’offense, sur le
sol, un mouchoir par-dessus et la fille qui plus tard, sur le
sol irlandais, viendra mettre sa merde, on ne le verra
jamais, là où ça démange ça gratte, la fille petite pute,
jamais on ne le verra, l’écorchure au talon du frère, un
mouchoir par-dessus et au fond de la poche, tu dors auprès de
moi, celui-là, sur le sol irlandais, pour une écorchure
la gangrène la pourriture, entre deux eaux ou entre quatre planches,
mais dans mes bras, caveau bétonné provisoire qui durera ce
que ça durera mais au cimetière, ton sommeil est à moi, bon
débarras, alors, qu’est-ce que ça peut faire, qu’est-ce que
ça peut faire ?
Je
ne demandais que l’heure, le jour, le lieu des funérailles. Ils
n’ont pas dit. Rien dit.
Sauf ça : ton
père et ta mère tu honoreras.
Non,
pas ça. Pas même ça. Nul Dieu, qu’un maître : le Père, le
pater, sa loi. Pas de garde, pas de chœur. Pas de foule, nul autre
que Lui. Et Elle, en coryphée. A Eux deux, les Parents. Qui ne
connaissent personne. Pas d’amis, pas de gens. La famille trois
fois l’an. La maison en sphinx couchée sur le cellier et le chemin
de ronde autour, autour du pâté de maisons, les Etienne à droite,
les Prat à gauche, la maison en sphinx entre, et nous dedans ;
et donne sur la placette la porte bleue, et en vis-à-vis la sente
qui monte depuis la départementale et la boulangère dans son
jardinet puis la bicoque de l’Angèle et sillonnent les écoliers
le facteur et la vieille catin à la recherche de ses chiens sur le
chemin de ronde. Pas vingt personnes, mais suffisamment pour faire un
chœur, à deux, à trois, possible, alors, à vingt ? Non,
chœur absent, chœur muet ou inaudible, où est le chœur ? Pas
de gendarmes, pas de foule, la menace de l’inspecteur dans la
bouche de la Mère, le « moi chef de famille » dans la
moustache du Père. A Eux deux illusionnistes, agitent les
marionnettes : attention ! les autres, les gens, les
méchants ! Danger ! Les Étienne, les Prat, l’Angèle, et
la boulangère, le facteur et les écoliers, et la pièce maîtresse,
la vieille catin ridée, toute une foule qui ne sait pas qu’elle
doit jouer le chœur des autres. Alors elle ne joue rien, la
foule, ne dit rien, à personne. Même les chiens, les chiens en
meute de la vieille catin septuagénaire aux cheveux teints et
crantés, aux lèvres grimées de sang, même les chiens errent et
trottent l’amble sur le chemin de ronde, en silence, indifférents.
Tout
ça côté cour, le proche. Le quotidien. La porte bleue de la maison
dont on ne voit pas, à la regarder, comme ça en passant, et même
en s’y arrêtant, dont on ne sait pas qu’elle est la porte d’une
maison-cellier couchée en sphinx sur la colline. Avec des enfants
dedans. Avec une citerne dans son ventre. Et un cadavre dedans.
Côté
jardin, le chemin de ronde. Le lointain. La ville. La mer. Et plus
loin encore, à un jet de train, d’autres villes, sans mer. J’y
suis partie, sans ma sœur ni le petit frère. Le cellier au ventre,
un père et une peur dedans.
Le père, la fille,
la mère (cuisine)
La
fille
-A
la piscine, faire de la natation.
Le
Père
-Trop
loin, pas besoin.
La
Mère
-Y’a
la mer, pour se baigner le soir.
Un
temps
La
fille
-au
catéchisme, ma communion
La
mère
-Tu
choisiras plus tard, toutes les religions sont pareilles
Un
temps
La
fille
-De
la plongée sous-marine, je n’arrive pas à nager plus profond
sans bouteilles d’air.
Le
père
-Trop
d’hommes, et pas besoin.
Un
temps
La
fille
-Faire
les Beaux-Arts, plus tard.
La
mère
-Pas
convenable pour une fille. Tu iras au conservatoire de musique avec
ta sœur, pour l’accompagner : j’ai pas le temps avec ton
petit frère.
La
fille
-Trop
âgée pour commencer !
La
Mère
-L’alto
c’est facile et peu demandé.
La
fille
-Au
cours d’Art Dramatique, alors ?
La
mère
-Ah
ah ah ! Tu t’es regardée ?!
Un
temps
La
fille
-Au
lycée, pour passer le bac.
La
mère
-
Pas besoin de bac.
La
fille
-Jusqu’ici
toujours à la maison. Vous disiez, que quand on voudrait on
pourrait…
Le
père
-Arrête
de faire la bille. Écoute ta mère. Déjà, tu vas au conservatoire,
c’est assez.
La
mère
-Au
lycée, tu ne suivrais pas. Tu n’as pas le niveau.
La
fille pleure
Le
père
-Fait
sa crise. Mets ça dans ta poche et un mouchoir par-dessus. Ca suffit
de faire les dents.
Des
temps. (Cuisine cellier escalier grenier, même chemin en sens
inverse une année ; allers retours au conservatoire ;
cuisine)
La
fille
-C’est
dans le journal, j’ai eu mon bac !
Le
père, hilare, se tenant le ventre
-J’en
pleure de rire.
La
mère
-Ça
sert à rien.
La
fille
Je
voudrais aller en fac, à Aix.
La
mère
- Par
correspondance ou rien.
La
fille
-
Alors rien.
Le
père
-Écoute
ta mère. Tu me coûte assez cher. Merdeuse.
La
fille
-Je
pars.
Le
père
-C’est
ça. Vraiment les dents. Respecte ta mère ! (gifle à la
fille du revers de la main, la chevalière brise quelque chose).
La
mère
-Avec
tout ce qu’on a fait pour toi !
Un
temps. Un train, aller. Encore du temps. Train, un retour.
La
mère
- Maquillée
comme une pépée.
Le
père
-Ton
sommeil est à moi.
Des
temps. Des trains. Les mêmes trajets aller-retour plusieurs fois.
Puis plus rien. Sans retour
Le
père et la mère, ensemble, de loin
-Tes
père et mère tu honoreras !
La
fille
-Je
ne demandais que l’heure, le jour. Ils n’ont pas dit. Rien dit.
Interdit.
Le
père
-C’est
comme ça.
La
fille
-Qui
es-tu ?
Tu seras ressorti du
magasin de motocyclettes brochure en main, motocyclettes, mot bientôt
désuet, un monde s’écroule derrière toi, le monde des costumes
trois pièces cravate que tu abandonneras aussi, tu prends le virage
des années 70, tu sors du magasin de motos brochure en main, moto,
terme mâle et viril, tu prends le virage en solo et au ralenti, ta
nichée celée dans le monde d’avant et toi avec, en définitive,
tu accommoderas le présent au passé, on va pas t’emmerder, la
brochure en main, du magasin de motos ou de chez le concessionnaire
BMW, quoique, pas souvenir qu’il y ait eu un distributeur de la
marque à proximité.
Jamais
entré dans un magasin ou un garage, tous des voleurs, on n’allait
pas te la faire à toi, hein, la mécanique tu connais, mains carrées
et poilues dans le cambouis ça oui, ni dans un magasin ni dans un
garage puisque sans aucun doute un collègue du bureau d’études,
Blanc ou Martin ou Durand, qu’importe lequel, aura commandé le
dernier modèle, la R75/6, et comme tu en meurs d’envie, te hisser
à ce monde, mâle, sportif, moderne des cadres légitimés et aisés,
tu décides de t’acheter cette conduite d’occasion, toi
l’ingénieur-maison, modèle précédent, que te cèderait Blanc,
ou Durand, « une affaire un prix d’amis », année 69 un
pied dans le passé décidément, à toi la R75/5 originale
authentique de la fameuse Série 5, blanche en plus, trousse à
outils planquée sous la selle, 24 litres au réservoir, et tu seras
revenu, te suçotant les moustaches, à la maison-cellier brochure
commerciale en main, celle confiée par Martin, ou Blanc,
« réfléchissez tranquillement », et encore avec les
factures d’entretien, il s’est fait avoir quel con ce Durand tout
ingénieur diplômé qu’il est, « parlez-en à votre
épouse », la brochure commerciale en couleurs saturées jetée
sur la table de la cuisine les cahiers les cours du Centre National
de Télé-Enseignement les épluchures, pour Elle, tu renifles que la
photographie suffira à emporter le morceau, ce qui t’épargnerait
d’avoir à la gifler, Elle qui déjà lit « Nous les avons
construites pour des hommes. Mais pour des hommes qui ont conservé
avant tout l’amour de la technique » et tu sens le cœur
de l’épouse battre plus fort et se gonfler d’orgueil, presque
elle en ouvrirait les cuisses. Tu conserves par devers toi le manuel
technique, couverture bleu bavarois, titré « Manuel
d’instructions » puis « Motocyclettes R50/5
R60/5
R75/5 »
en
bas à droite le macaron de la marque, quartiers blanc et bleu
cerclés noir, les lettres B.M.W. en blanc, tu es content, tu es sur
le point d’acheter la plus puissante, tu t’attables.
Tu
tournes les pages de tes courts doigts velus, deux grandes
photographies noir et blanc en vis à vis, profil droit profil gauche
de l’engin, version tôle noire tâche blanche effet du flash, page
quatre très certainement le directeur de la Bayerische Motoren Werke
te salue : « Cher ami BMW. » Heureusement
c’est traduit, mais tu n’es pas si idiot que tu devines bien que,
sous la signature, « aktiengesellschaft » veut
dire grand directeur, le tien aux Chantiers Navals finit ses lettres
pareil, Président-Directeur Général, et tout le reste est donc
traduit. Et on se demande comment mais la littérature n’est pas
ton fort, tu lis à voix forte « la moto est une provocation
perpétuelle vers l’aventure de dominer sa machine »,
Marraine te renvoyait tes lettres corrigées de rouge, n’empêche,
« une provocation directe sans accent faux. » Tu lis
tout haut le front en arrière, le nez pointu, presque tu ânonnes,
la bouche en cul de poule bute sur les doubles consonnes, tu prends
la feinte d’étirer les mots, de les emmieller, « Il faut
constamment observer et évaluer la route, le vent et le temps --
pour les dominer. » Sous la moustache noire en brosse un
dard rose et humide palpite, hésite « c’est pourquoi
l’homme éprouve ce grand plaisir de sortir sa moto. »
Provocation, domination, plaisir. La messe est dite.
«Vous
choisissiez » tu continues, « une BMW avec son
moteur flat-twin deux-cylindres puissant et souple, avec sa
transmission à cardan… Nous devons vous féliciter de cette
décision.» Rien que ça, les félicitations du directeur de la
Bayerische Motoren Werke, quand pas plus tard qu’hier on t’a jeté
ceci à la figure : « plein d’air. » Et tu étais
rentré ce midi-là contrarié (la main sur la bedaine tu pétarades
dans le couloir) et perplexe avec cette question à l’épouse,
l’intellectuelle, baccalauréat philo en 60, « profession de
la mère - traductrice-interprète » sur demande
annuelle de dérogation à l’obligation de scolarisation : « plein
d’air », qu’est-ce que ça veut dire, qu’est-ce qu’il
voulait dire Blanc-Martin-Durand ? C’est que tu as un peu de
ventre tout de même, elle s’esclaffe gras, en claquant de la paume
sur le susdit ventre. Mais «mainant » tout est balayé, de
l’air, tiens, voilà, « observer et évaluer la route, le
vent et le temps » et paf, tiens, les félicitations de
l’« aktiengesellschaft » : vont tirer le nez les
Blanc-Martin-Durand au bureau d’études.
Il
continue langue rose sous moustache drue la lecture du Manuel
d’instructions, « deux cylindres horizontaux opposés,
construction monobloc entièrement capsulée », hein, Nine ?
Elle grogne, la narine battante, l’homme de la photographie
s’habille aussi en Blanc-Martin-Durand, elle réfléchit en coûts
vestimentaires, ce n’est pas rien que ce rustre de rital il
m’emmerde avec ses lubies, « entièrement libérés des
entraves du cadre », faut le reprendre, abandon en traître
du costard trois pièces, cette nouvelle tenue, du standing, oui,
« cylindres compound », il se
reprend, « commm’-pouuu-nnn’-dd’ »
comme elle le lui a appris, presque il se ferait une courbature de la
langue des lèvres.
Ça
lui fait chaud dans le cœur à Elle, - « la chemise
extérieure nervurée en aluminium » il continue-
cette photographie du prospectus-« permet un bon
écoulement »- ça rejoint ses décors intimes Angélique
J’ai Lu-Romance et Jours de France : en
arrière-plan manoir blanc à colombages toit pentu gris, grande
pelouse vert tendre au premier plan, piscine bleue derrière et ses
deux échelles en quinconces, ah, Bordeaux, la place des Quinconces
et elle se porte une main au cœur.
La
glue sonore et rose de l’époux. Elle ne l’écoute plus, le
laisse ânonner. Elle est dans l’image. Elle longe la haie posée
sur la ligne de convergence vers la porte d’entrée ouverte, et
derrière cette haie touffue mais basse, on ne le voit pas mais un
salon de jardin tend ses blancs bras, son service à orangeade, le
parasol rouge saturé qui dépasse en atteste. Home sweet home. « La
surface de portée du cylindre se compose d’une fourrure en perlite
coulée ». Le ciel un peu gris un peu bleu, humide,
Aquitaine, et cet homme- là, décentré sur la gauche, qui, avec sa
moto fait un triangle parfait, un homme brun, pattes de tempes mi
longues, mâchoire carrée, la quarantaine, « une dépression
continuelle règne dans le carter. » Debout derrière
l’engin, pieds ancrés dans la pelouse mouillée, l’homme tient
sa BM du poignet gauche comme d’un cheval par le mors, sans effort,
tête nue, la main droite posée (autorité, domination, protection)
sur la croupe de la selle, à l’endroit exact où elle, passagère,
posera ses fesses, « grâce à la ventilation en
diaphragme. » (Pas très bon pour les femmes la moto),
empeignes montantes des mocassins, chandail rouge à col roulé,
« vilebrequin forgé en une seule pièce » et,
oui, elle défaille, côté cœur l’écusson sur la poche du blazer
tabac. « Masses rotatives et oscillantes, équilibrées,
paliers lisses.» Et elle, elle fixe le bel homme, « course
silencieuse, capacité de charge, » glisse sa main sous le
blazer, caresse la laine rouge. L’homme lui rend son regard, un
léger sourire aux lèvres, une invitation. « Une bonne
rigidité et en même temps un minimum de vibrations, hein, femme? »
« Ce
grand plaisir de sortir sa moto », encore faut-il
l’extirper du cellier-niche grande, du réseau de madriers,
plateforme qui converge en passerelle jusqu’à la pierre de seuil
du vantail, ouvert enfin sur le chemin de ronde, 210 kg à tirer à
hue et à dia, contribution de l’épouse de la fille, c’est con
une femme attention de ne pas la verser, jamais un merci qu’il
parte qu’il reste, partir moi aussi passer devant la citerne sans
se retourner passer le seuil du vantail et fuir, grand plaisir de
sortir sa moto et sur le cailloutis instable du chemin de ronde,
abaisser la béquille centrale et la retenir du pied droit, et un, et
deux, et trois, tirer tous ensemble on est une famille vers
l’arrière, par le porte-bagages chromé pour elles, par la manette
de levée pour lui, l’autre main sur la poignée gauche du guidon,
hop. 210 kg réservoir plein, 24 litres, pas peu fier, cette bête
sa bête qu’il va enfourcher, lui, et partir, lui, et les planter
là, les femelles, l’épouse qui se précipitera, j’ai des choses
à faire, vers la salle d’eau borgne, vers le drôle l’alcôve le
lit conjugal, la fille qui devra repousser le vantail lourd et faire
claquer fort les barres des verrous, acier contre pierre, afin que la
résonance couvre sa course dans l’escalier de glaise, au long du
cellier bientôt rendu à ce qui geint dans la citerne, jusqu’à la
porte à clenche en losange qu’elle tirera sur une volte-face d’un
coup sec. Éteindre la lumière, bitoniau haut droite.
Mais
il n’est pas temps.
Observer et évaluer
la route, le vent et le temps. Revêtir la cuirasse. Chaque matin
chaque midi on tend au père la pesante veste de cuir noir, le casque
Jet Bell blanc, les lunettes Climax monture cuir et sangle à ressort
et pour finir les gants épais. Le gentleman bavarois aux oubliettes,
pousser de nouveau la béhème vers l’avant cette fois, compenser
pendant qu’il l’enfourche avec un peu trop d’élan, lui tenir
l’engin comme lui avoir tenu les outils, clé de 10, non celle à
pipe, chiffon, alors ça vient, c’est con une fille, voilà, il est
à califourchon, sans béquille, le bout des orteils au sol, la
bedaine engoncée posée sur le réservoir 24 litres, les commandes à
bout de bras, mentonnière incrustée sous la moustache, joues
comprimées. Une grosse mouche noire sur un domino de sucre. Sur la
route, il va surgir au cul des voitures, hop hop les bouchons, on le
prend pour un gendarme et on se décale sur la droite, dans les
rétroviseurs un motard moustachu en noir et blanc phare plein pot,
la terreur du gendarme ah ah les cons, « une provocation
perpétuelle vers l’aventure de dominer sa machine ».
Clé de contact en place sur le phare position 1, allumage enclenché
témoin rouge, position 2 allumage et éclairage de route, poignée
droite le bouton des clignotants, presser actionner le démarreur,
sinon le kick source de mots dehors, alors démarreur. Flat twins.
Cœur d’acier assourdissant. La fille le fait, il faut le faire, au
revoir de la main, toujours, de toute façon la double pulsation
couvre les voix, avec un peu de bradycardie elle s’emballe, se
régule, vit. Il faut un cœur d’acier pour partir.
A
ma sœur :
-Pars
d’ici
-Déjà
partie, revenue
-Partons
ensemble
-Ne
dis pas ensemble. Entre toi et moi, les hommes
-Qu’importe.
Ensemble loin du cellier.
-Pas
peur du cellier. Rien. Qu’un cellier. Quand je veux, même sous les
ponts avec le chien et puis…
-Et
puis tu reviens au cellier
-Il
n’y a plus de cellier ! Une autre maison, comme partout
pareil, des choses dedans, et le frère, la mère…
-
Et le père
-Le
pater, oui, il dit gouine je dis assassin
-Partir
-Interdit !
La mère ! Le frère ! Le chien !
-Et
le Père
-Non,
je fais comme je veux, rien, le Pater, pas peur de lui
-pourtant
le Père te tient en laisse, laisse avec enrouleur, hop, aux pieds !
-Et
toi dans ta tête, un caveau!
-Pars
avec moi
-Pars
sans moi !