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Comètes sanglantes - Aux éclairs de son casque...

 ...on reconnaît le héros.Telle parfois, dans la nuit sereine, la comète sanglante étincelle d’une pourpre lugubre.
                            (Enéide) Virgile

Cuisine blanche sur fenêtre grande ouverte, bleu sur balcon cinquième étage droite.
Le café dépose son marc au fond du bol jaune, les volutes de fumée de sa troisième cigarette s’effilochent dans l’air rafraîchi, elle est assise en parallèle à la table, jean et cache-cœur noir petites fleurs jaunes et rouges, jambes étendues, pieds nus chevilles croisées sur l'autre chaise. Lui, il est là, sur le tabouret bancal, avec sa mine de petit garçon vieilli et contrit.
Il vient de dire ceci, qu’elle est la femme de sa vie, la mère de ses enfants, et que tout cela n’était que folie. Tout cela, répète-t-elle en silence, rien, tout cela : l’autre femme, l’autre enfant et moi toute seule sur le navire depuis plus d’un an, mes trente ans en fanion, dans quelques jours. Il vient de dire ceci, que c’est fini, qu’il veut revenir, quitter le studio deux rues plus haut : un an de galère. Il s’était trompé, voilà tout. La femme de sa vie, ce n’est plus l’autre c’était elle, qu'il ne l'ait compris plus tôt et tout cela ne se serait pas passé, c'est elle - celle-ci qui, pieds nus, fleurs carmines sur noir - tu fumes trop.
 Elle ne dit rien. Seulement qu'il n'y a rien à craindre, la porte de la cuisine est fermée sur le couloir, la chambre des enfants. Elles vont bientôt se réveiller. Elle devinera à qui les petits pieds sur le plancher, trois ans à elles deux et elle sourit, au ciel presque bleu, à l'après-midi au jardin public - la voiturette du glacier, les canetons en flocons jaunes à la queue leu leu dans les allées - où elles iront. Elles l'ont décidé hier soir.
Je veux être là, près de toi, il continue, avec nos petites filles. Nous achèterons une maison avec un jardin, toi qui aimes jardiner, et je me ferai un studio de musique, pour mes amplis, ma basse et les filles auront une chambre chacune.
Elle ne dit toujours rien, suivant du regard la fumée happée par le ciel, des mouettes crient, cela l’amusera toujours. Des mouettes en Lorraine, en ville. Elle se demande si des mouettes aussi, à la campagne ? Petite maison, petit jardin. Elle aimerait des groseilliers acidulés et une grosse souche de rhubarbe avec des feuilles larges et géantes sous lesquelles joueraient à s'abriter les toutes petites, et un arbre pour accrocher la balançoire, un pommier par exemple, non c’est dangereux un pommier, les branches cassent facilement. Un cerisier peut-être, à défaut d’un platane ou d’un pin. Des cris de mouettes, bof, il y aurait mieux, il manque un son, mais lequel ? Elle se préoccupe de cela. Le père de ses filles s’amenuise devant son café à lui, deux sucres, elle, elle préfère sans, elle aime l’acide et l’amer.
 Elle écrase le mégot de sa cigarette, s'occupe les mains à réchauffer le café tiède dans le bol jaune. C’est comment l’amour après l’amour du début ? Elle voudrait savoir ça : après, c’est comment ? Après les premiers jours, les premiers mois, premières années, premiers enfants ? Papa, maman, la maison. Tu auras un chien aussi si tu veux, poursuit-il. Elle consulte par la fenêtre, bleu, le diaporama: maison, glycine, balançoire, cabane, rhubarbe, chien ; les départs pour l’école, pour le boulot, les trajets, les retours, les amis qu’on invite pour la visite panoramique de la petite famille.    Il faudra beaucoup d’étagères pour ses livres, et sa table, où ? Un petit bureau rien que pour elle ? Mais oui, bien sûr, tout ce que tu veux, un grenier aménagé par exemple, il ajoute. Elle allume une autre cigarette. Elle aime bien les greniers. Elle y a passé son enfance, une lucarne sur le ciel, du bleu pour de vrai que buvait la mer au loin, par une encoche entre les monts des Maures. Les cigales. Oui, c'est ça. Les cigales.
 Elle lâche le ciel des yeux, elle lâche même sa cigarette, le café refroidi, elle écrase le mégot dans le cendrier, là, sur la table de la cuisine blanche, entre eux deux. Entre elle et lui. Elle le fait enfin, alors qu'il a le nez dans sa tasse tenue à deux mains, les regarder, ces mains de musicien. Remonter du regard au long des manches, laine noire et rouge, au col ses cheveux châtains un peu longs en pinceaux plats sur les joues presque imberbes, les taches de rousseur sur les mains, sur les joues, et les petites lunettes rondes à la John Lennon, et derrière, ses yeux, à lui, noisette clair, transparents, une eau y tremble, elle aime tant regarder ses yeux. Il tourne la tasse vide et sale entre ses mains aux ongles courts, aux extrémités calleuses. Elle voudrait se lever, le prendre dans ses bras, le serrer fort. Une mouette crie, éclair blanc rayant la fenêtre fraîche. Elle voudrait qu’il se lève, qu’il la prenne dans ses bras, qu’il la serre fort.
 Un temps. Long.
 Il dit : épouse-moi.
Sur la gazinière une aréole brune autour du premier feu droite, elle se dit qu’elle n’aura pas le temps de nettoyer ça et qu'elle s’en fout, parce que le petit-déjeuner tardif des petites filles, puis le jardin public où l’on a dit qu'on pique-niquerait. Dans la maison avec le jardin et la balançoire il faudra la gazinière propre, et le linge plié, et les jouets rangés, ça l’horripile, lui, jouets livres partout. Elle se dit, c’est peut-être ça après, ranger les poupées, le linge, tout ranger pour que lui, en rentrant de son boulot, il soit content, il soit heureux et que plus jamais, les larmes à fleur de ses yeux noisette.
 C’est comment la vie à deux, après ? La gazinière propre le jour et les nuits... Les nuits ? Elle a le cœur qui se désordonne. Les nuits ! La gazinière pour nourrir les enfants et le mari, et le mari... Le mari qui attend le soir les enfants couchés le linge rangé et puis elle, il l’attendra elle près de lui, dans le lit, avec ou sans la télé et puis, fais-moi un câlin, et toutes les nuits comme cela et elle fera comme cela jusqu’au jour où. Jusqu'à la nuit où. Où elle tardera. Se couchera de plus en plus tard, des trucs à faire, notamment dans le grenier, le jour est pris reste la nuit, comme toujours, la nuit pour écrire, encore un peu et puis j’arrive, et peu à peu elle arrivera de plus en plus tard, ou tôt, on ne sait plus, elle oubliera le lit, l’homme dedans, et le sommeil. Les yeux, par la lucarne sur la nuit bleue ou violette, la brume de sa cigarette comme sur la mer l’hiver, l'étole bleue de la mer trop loin et les cigales, mais qu’est-ce que je fais ici ? Ce qu'elle se dira. Qu'elle écrira. C’est quoi aimer quand on préfère chercher les mots et les sons par la fenêtre plutôt que de rejoindre un mari attristé ?
Tu ne réveilles pas les bébés, s’inquiète-t-il. Non, et elle le regarde aux pleins des yeux, je ne réveille jamais les enfants qui dorment. Laisse-moi rêver. J’entends la mer, je prépare ma nuit.
                                       
Quand tout fut fini, tout commença. Sept ans. Sept années à scruter le passé, à le lire et à le relire. Sept années à vivre à pas menus, réapprendre les choses, aimer, petitement. Sans avenir. Le présent, seulement. Cercles concentriques qui ramènent au point de départ.
Ses yeux, pourtant, étaient si clairs : non pas bleus, ni verts ou gris, rien d'extraordinaire ou plutôt si, couleur de miel doré, de miel d'acacia, comme on en récolte là-bas, au pays, couleur de miel sucré pailleté. Des paillettes, dans ses yeux, comment ses yeux, je ne m'en souviens plus, je n'ai plus l'image, rien que les mots. Un regard nu, pauvre, doux, si doux, surtout lorsqu'il ôtait ses lunettes, des lunettes de fer blanc ou argentées, petites et rondes, autrefois, en ce temps-là, au tout début de cette histoire. Par la suite, il avait changé de lunettes, une monture toute en transparence qu'il avait remarqué dans un film héroïque. Malgré sa candeur, l’acteur sauvait le monde, il voyait aux cœurs des gens, on pouvait lui faire confiance, se reposer sur lui. Mais moi, je préférais les binocles d'avant. J'aimais ses yeux. Ils étaient limpides, de l'eau, j'aurais aimé m'y baigner, vraiment, d'ailleurs je ne m'en suis pas privée mais toujours à son insu, quand il regardait le ciel, les arbres, en ce temps-là il les voyait encore, ou quand il lisait de la musique, tournant et retournant entre ses doigts déformés un crayon jamais mâchonné, toujours bien aiguisé.  Moi, alors, je cherchais. C'est quoi aimer ? et qui ? la lumière ou l'amour ? les hommes ou pas ? Et dans ses yeux quelque chose brillait, un éclat resté captif, peut-être un tesson, ou une paillette, qui me faisaient m'accouder au balcon de tes lèvres, scruter tes iris où se cachait ce que je croyais ton âme, comme si quelqu'un d'autre vivait là, un inconnu apeuré qui n'osait me regarder dans les yeux.
Plus tard, des années plus tard, peut-être pas tant que ça, ses yeux ne furent plus si clairs. Ils devinrent sombres, très sombres, et ternes. Et puis un jour je ne les ai pas du tout reconnus, plus personne n'habitait là. Je ne pouvais plus m'y baigner, et je me suis sentie sale, si sale, répugnante. Le visage était là, les cils noirs, les taches de rousseur, l'écrin un peu froissé des paupières et la pupille aussi, tout, mais les yeux restaient opaques, l'âme tournait le dos. Et cela a duré longtemps, très longtemps. Parfois la lumière revenait, mais un peu folle, ivre ou euphorique, bestiale, oui, quelques heures, ensuite le miel brunissait, se caramélisait, brûlait et les flammes m'atteignaient, me défiguraient, mes larmes ne pouvaient éteindre cet incendie.
Le jour où l’on s'est quitté, ton regard fixait le fond d'une tasse vide entre tes mains, tes yeux m'ignoraient encore, le printemps bleu inondait la pièce, ricochant sur le réfrigérateur, la chaise haute d'enfant, tes yeux me fuyaient mais moi je pouvais les dérober, comme ça, de biais, sans passer par le chemin faussé des verres de lunettes. En trichant un peu, j’ai vu, ils étaient redevenus clairs, si clairs, j'ai cru qu'ils allaient franchir ta chair, deux gouttes de miel d'acacia, lourdes, transparentes, dorées, si transparentes que j'ai dû retenir de toutes mes forces ma main partie pour les cueillir du bout des doigts, oh, les porter à mes lèvres ! Ton âme roulait dedans, dans ta tristesse toute nue. De l'amour, je n'avais plus que le goût des mots.

2018

Caillou