Libellés

à la poussière abattu acherontia atropos arbre arbre transplanté atteindre l'arrondi au devant baume bdellium bêtes des chants bouclier boucliers terre brancards bruit du monde Cabane Caillou cèdre celui qu'on paie chanter raconter chaque jour chiens revenus choses de bois choses écrites ciel tendu citadelle Coincé convocation copie cordeau dans la côte Dans la suite des jours Dans sa maison dans ta bouche De sa maison déchirure demande écritoire depuis ce jour vers 5 heures elle n'est plus dessiner destinée devant l'abri déviation dire-chose Dix donne dronte écricienne Effacement en oublier de manger endormis Enquête de lit faim faire poème Faire retour faire vite fermeture de ciel feu fissure fleur-de-cerisier Flot raison Fortune franchir Fronts génération Grand cerf habiter la trace hauteurs du ciel hier hors-sol Il ne ferait jamais noir imposte mangeoire Insister instructions j'ai vu ce jour jour jour nuit L'abri L'Hastelier la peau du visage langage sans rien Le chanter le manteau le voir les mains flanchent lieu tremblé Lits1 Lits2 Lumière dans poche Maison de lire maison des voyages manquer mesurer milieu du jour moisson moment de sa grâce monde posé Montagnes comptées mûrier Musivaine non-visitée notre cri Oeil oeil parfait oiseau échappé Où reposer pain Papier tombé Partir pas ce monde-ci Pas un son passé simple pauvreté personne Peur Pierre de meule Pierre de tête plaire platane Plumes plus aucun Plus hauts les portes Poème d'or Pommes d'or Porte de mai Portes Pour arracher Pour la forteresse pourpre prends Presque calme Propre corps puiser Pygmée quand l'homme qui qui retient rampe Reine du Sud revenir ricercar ricin ou pas ridicule rire et danse roc silencieux Saisie savoir de main secret Seulesse si le soleil signe silence soit non soit oui soleil son sortir aller sortir rentrer soupirs cris stable tables tenir bon térébinthe terre vide solitude Toile toqués tourment Tous Tracer trop tuyauteries Un film passe un mur une maison dans la montagne usure va en mer végétal vent verte chair vieux habits ville ville nuit virages Visages Vivre sans Voir Voix vouloir yeux caves

Station VI

Version Juillet 1991 – La Concertante

La terre est si dure. Ocre-orange, avec de petits cailloux blancs-gris qui crissent sous l’outil résonnant, alors il faut se baisser encore plus ou mieux s’accroupir et gratter du bout des doigts, extraire un à un ces chicots pointus, en faire des monticulets que contourneront les fourmis-éclaireuses. Terre chaude d’hier encore et sèche, poser la paume ouverte sur sa carapace d’argile, briser celle-ci d’une simple pression de la main, tourte tiède crevée, un fumet de pain chaud s’en échappe.
Elle se relève à demi et le dos de sa main droite, une fois de plus, raccompagne la gerbe des longs cheveux couleur de chêne sur la nuque, glissement sur les reins ployés, caresse au travers du léger vêtement de coton. Il faut que tout soit fini pour le crépuscule […] Se penchant –elle est restée souple et mince- elle délace ses sandales grecques, les retire. Sur celle de droite un insecte arlequiné de grenat […], elle le dépose à la lisière de la fosse. […]


Version Juillet 2008 – Station VI – Préparation du tombeau

La terre est si dure, sèche, ocre-orange, avec de la caillasse dedans qui crisse sous l’outil résonnant, alors il faut y aller à la grosse pioche, y jeter tout le poids du corps, pour que le pic fende enfin la roche crépitant des étincelles. Il lui a fallu descendre dans ce qui est dorénavant une fosse, arracher du vide, et s’accroupir, et gratter, oui, des doigts, extraire un à un les chicots anguleux, les brisures blanches, dans une odeur de guerre indienne, de silex.

Koechel 364 – Trois bémols pour toi – quatre dièses pour moi – la boucle du six/huit – sans les tutti, pas besoin on sait – andante
Elle ne trie pas petits moyens et gros cailloux, et la terre à part. Elle n’a pas étendu de bâche au sol pour tenir les bords propres. Elle n’enlèvera rien de tout cela en quelques brouettées : au contraire, elle devra en rapporter de cette terre mais tamisée, désencombrée, quasi poussière par l’alternance du soleil et des rosées (d’une pression de la paume ouverte, crever la croûte d’argile sèche : une odeur de pain chaud). Il faut aussi la pelle large qui bute sur les éclats de roche et en renvoie le choc au cœur : difficiles pelletées de terre-pierre mêlées, qui pèsent aux poignets, aux épaules. A la carcasse. Déblayer. Et continuer. Pioche, pelle.

Elle est en sueur, elle travaille vite, trop vite. Elle ôte arrache son court gilet noir, elle le jette au loin -pas assez- où il coiffe des touffes de thym dru, elle se demande si elle ne portera pas plus rien que du noir –déjà, trop souvent – elle cesse de fossoyer. […]


Version Juillet 2014 – Station VI

Terre dure. Sèche. Ocre-orange avec de la caillasse grise dedans. Crisse sous l’outil. Bêche. Pelle. Pioche. Y aller à la grosse pioche. Affermir le corps. Se densifier. Projeter. Fendre. Faire levier. La roche crépite silex sous le pic. Se plier, s’accroupir. A mains nues déboîter les blocs. Extraire. Déblayer. Terre orange brisures blanches rousses. La pelle souvent bute. Le choc écrase les poignets. Renvoie au cœur. Une odeur de guerre rupestre.

En sueur. Travaille trop vite. Pue. Mi-fauve, mi-savon. Veste ôtée jetée coiffe les touffes de thym. L’air du petit matin sèche peau nue débardeur noir. Sandales de cuir qu’elle m’avait données. Pierres outils scorpions. Courir là, longer le cellier, dévaler deux restanques. A l’amandier. On ne voit pas la mer, son empreinte dans le ciel, ressac cailloux terre violentée. Dans la fosse déplier os mains fripées. Les cals agglutinent les phalanges autour des paumes. Évidées. Leurs mémoires d’autres bois plus précieux écrasées. […]




Janvier 2015

J’ai réécrit quatre fois cette scène et sa suite. Ou plus. Tout un quart de siècle. Ces trois versions et toutes les autres : elles me fascinent, je les déteste.

Énième, plus courte : une femme creuse au matin quelque chose qui ressemble à une tombe. A flanc de colline (restanque dans l’arrière-pays, comment dire le pays sans nommer les mots de ce pays, sans ce qui fait « terroir » ? Niais? Pourtant les cistes sont des cistes, et les punaises noires et rouges des gendarmes…).

La suite ? La sœur se meurt près d’un port, les Parents attendent que tout cela finisse. Elle, qui creuse, un souvenir la saisit alors, elle se déchausse et abandonne son terrassement, elle détale en pleurs pieds nus, dans sa maisonnette se lave les mains le visage, ouvre l’étui d’un violon-alto sur un tapis comme un jardin (en fonds sonore, Mozart, andante de la Concertante).

Autrement : Je creuse, quelque part dans l’arrière-pays. Ma sœur moribonde dans une chambre près du port. A proximité d’elle les Parents immobiles attendent que tout cela finisse. Puis une anamnèse mortuaire (plusieurs versions). Mes pleurs. Interrompre le terrassement. Se déchausser. S’élancer pieds nus vers la maison. Se laver les mains le visage. Ouvrir l’étui de violon. La Concertante pour violon, alto et orchestre. Mozart.

Tout autour, dans toutes les versions : de la chair de mots inutiles. Les souvenirs convoqués emmènent, pour finir, devant l’alto. La Concertante en trame sonore. C’est ce que j’ai écrit et c’est mensonge. Je n’aime pas la Concertante.

Le début, le creusement : cette scène comme une idée fixe, un fantasme. Creuser dans l’urgence à flanc de colline pierreuse une tombe. Production de mon imagination à partir d’expériences réelles : les étés à terrasser pour le Père. Et les tombes pour les animaux domestiques dans des sols pierreux.
La maison-cabanon, l’amandier, la restanque : le rêve de se poser un jour au pays, un lieu à soi, un endroit pour rassembler les morts.
L’attente.
Les sandales en cuir lacées : impossible de les supprimer ces tropéziennes données par Véronique.
Ma sœur, dans une chambre près de la mort.

Plus court alors, sec jusqu’à l’os, sans le pays la terre la mer les bêtes la jeunesse ; sans quelque chose de bleu, quelque chose d’ancien, quelque chose de neuf, quelque chose de prêté : elle creuse. Elle attend. Elle court. Elle pleure.

Via Dolorosa Station VI : Véronique essuie de son voile Son Visage. En impression sur le tissu, la Vraie Image, Vera Icona restée sur le Volto Santo. Que, de siècles en siècles elle présente de face, son visage près du Sien.
Véronique, herbe-aux-lépreux, petites fleurs bleues quatre pétales en croix. Nous regardent au bout des deux étamines leurs anthères : Ses Yeux.
Veronica, passe de cape présentée au taureau de face, à deux mains, jambes très écartées en compas du torero (catogan, boléro de velours, taille prise).

Volto santo di Lucca, au pays de notre grand-mère je L’ai vu, en aurais-tu souri sœurette, sous Sa Face barbue la tunique de bois et sur Ses hanches une jupe longue de velours bleu et or, manchettes aux poignets transpercés idem, pieds cloués chaussés idem, tel un saint travesti ou une sainte barbue, en apesanteur : fortitudo.

C’est une femme qui prépare une fosse, un tombeau dans un jardin. Mas, Haute-Provence. Pour enterrer quelqu’un, sa sœur, un dernier rendez-vous. Ou alors, elle creuse un abreuvoir pour les oiseaux, ouvrage commencé depuis longtemps et jamais fini. Comme un passe-temps. Un prétexte. Attendre la venue de quelqu’un. Sa sœur. C’est un rendez-vous pris il y a longtemps. Dans un autre jardin, même pas, dans le creux d’un vieux laurier rose habité par des fourmis et des gendarmes. Ou sous l’amandier devant la tombe minuscule d’une bête. Quand on sera grande on habitera ensemble dans un mas, on aura plein d’animaux, on jouera la Concertante. Elles ne se voient plus. Elles ont disparu l’une de l’autre. Elles enterrent chacune de leur côté des chiens, des chats, des oiseaux. Elles ont été accidentées. Quand elles se souviennent sœurs, c’est presque trop tard. Le violon est cassé. L’alto muet. C’est un grand vide. Ou un grand trop plein. L’une l’aura rempli de breuvages mortels, l’autre d’encre noire. Entre elles deux, Eux, les Parents. Elles ne savent pas encore que même si elles se sont enfuies elles restent Leurs prisonnières.

Scène - la préparation d’une tombe
Un rendez-vous - sans cesse reporté
  • fantasmé
  • pris dans l’enfance


Musique - La Concertante (vl + alto = âmes sœurs)

Pièce (lieu) - le jardin, la restanque, le laurier rose, l’amandier

Narration-trajet - une pièce près du portla colline
- creuser la terre (va-et-vient des outils)
-courir vers une maison

Point fixe - les Parents attendent près du port que tout cela finisse. Vaincus, furieux. Les sœurs leur ont échappé.

Image/photo - le petit marquis.

Avant d’écrire, en écrivant : creuser la ferveur. La fureur.

Période latente de l’attente.

Elle creuse (attend).

Petit marquis, marquisat, province frontière d’un état. Marche. Endroit où poser le pied. Marquer. Bord. Margelle. Marginer. Marginal.

Concerter. Projeter de concert. Avec une ou plusieurs personnes. Combiner, préméditer, organiser, préparer. Décider après concertation. Tenir sa partie dans un concert. Concert : ensemble harmonieux. Ensemble de bruits de sons simultanés. De certus : fixé, sûr. Certes. Choix, évaluation, décision.

Illogique : elle attend sa venue, ce qu’il en restera : son corps. La mort, l’attente, les deux points (du port, de la colline). Le trajet n’existe que dans les outils, les instruments ne joueront pas (exit la métaphore du duo parfait). Elle attend illogique. A cause de la promesse intenable. Elle creuse en attendant, ce sera un abreuvoir pour les oiseaux avec une margelle, une parenthèse. Elle est au bord. Elle quitte ce bord en courant et en larmes.

La sœur avait dit ça : « je vis ma misère » (je suis presque morte).

Le marchandage illogique : La Concertante ou la mort.

Je porte ma sœur ancienne en moi.

La Concertante comme un acouphène.

Une femme qui creuse (une fosse ? un abreuvoir ?) sur une colline (j’ai écrit et réécris cette scène). La scène où je creuse, avec la tentation de me coucher dans la fosse (la terre rouge, les débris de roche grise, les racines, les insectes), où j’attends ma sœur, pour l’enterrer aussi, la sœur qui vient de/va mourir dans la chambre sur le port, les Parents attendent et Ils ne me diront rien.

L’attente, la raison de l’attente changent au fil des versions (du temps) :
- l’attente de vivre ensemble dans un mas avec les animaux (un lieu pour les enterrer)

- l’attente pour se retrouver et jouer la Concertante

- l’attente (renonciation) de l’annonce de sa mort et la fosse alors pour lui donner une sépulture « libre »

- l’attente d’une fin : de la fin de l’attente ?

Une résolution : jouer la Concertante deux fois, jouer seule chacune des parties. Ça ne tient pas : comment tenir un manche de violon dans sa paume tout de suite après l’épreuve mutilante de la pioche ?
Essuyer les cordes la table la touche avec un voile de soie : poussière de colophane, sueur.

Creuser : impasse, mauvaise voie, enterrer les animaux, enterrer la sœur, s’enterrer.

Les Parents attendent (leurs proies) : la sœur barbue pas encore morte (puisque « elle vit sa misère ») ; l’autre s’est échappée : On reste à l’affût.

Concertante, Koechel 364 : la partie d’alto se joue un ½ ton d’accord au-dessus (accorba un mezzo tono più alto).

Violon et orchestre : Mi b Majeur ; partie d’alto écrite en Ré Majeur sur instrument accordé un ½ ton plus haut : permet d’utiliser plus souvent les cordes à vide => sonorité plus brillante (du son voilé de l’alto hausser le ton).

Allegro maestoso Mi b Maj
Andante Do mineur
Presto Mi b Maj

A partir d’un certain âge : on évitait le moindre contact tactile. Dix ans ? Avant oui. La charnière : la scène de la chambre//Mère.

Un rendez-vous : plus tard au mas.
L’alcoolisme.
Les animaux.
L’attente.
La solitude.
Est-ce que l’homosexualité//sœurs ?
On va manquer ce rendez-vous.

L’alcoolisme : le comportement alcoolique => une solution à un problème dramatique qui aurait émergé à la faveur d’une histoire singulière.
Addiction : contrainte par corps infligée à des débiteurs qui ne parviennent pas à honorer autrement leurs créances.
S’adonner à : s’appliquer habituellement à.
Assuétude : accoutumance de l’organisme aux modifications du milieu, accoutumance à une substance toxique.
Toxicomanie : intoxication engendrée par des prises répétées de substances toxiques créant un état de dépendance psychique et physique à l’égard de ses effets.
Dépendance : enchaînement, liaison, solidarité, asservissement, assujettissement, soumission, sujétion.

Suicide. Ciseaux.
Sui (soi)
-cide. Couper tailler fendre.
Suicide : couper sa propre vie, se détruire, se nuire, causer volontairement sa propre mort pour échapper à une situation psychologique intolérable.

« Je vis ma misère ».

Mansuétude : main + sœur. Disposition à pardonner généreusement.

Les Parents attendent : d’abord dans la pièce, au seuil de la chambre où meurt (où gît ?) Véronique ; plus tard, quelques versions plus tard, repoussés dans la rue au bas de son minuscule appartement. L’Audi Bleue sombre rangée le long du trottoir, la vitre gauche abaissée, l’avant-bras brun et poilu du Père, Sa montre, Sa chevalière en or qui un jour a enfoncé ma cloison nasale. A droite, la Mère, on devine Son bras gauche étendu comme embrassant le dos du siège conducteur d’un bras flasque et nerveux à la fois, contre l’appui-tête Ses cheveux roux délavés, ce n’est pas symétrique, pas dans l’alignement la perspective, c’est qu’Elle plie la nuque vers la droite contre la portière, disloquée, et je L’entends d’ici, Jean-Marie Jean-Marie. Les Parents qui attendent, à l’affût. Ce n’est pas Véronique, c’est de son corps qu’Ils entendent disposer, déposer, son corps. Sa misère en appât :
Celle-ci ne meurt toujours pas, sa sœur n’apparaît pas.

Accoutumance = assuétude = addiction.
Accoutumer (habitude) = insensibilisation.
De scuescere = s’habituer.
Scuescere => de suer => de soer =>de sorur => de sœur.
Scue => son
sien
soi
sui-

Désuet, désuétude => désaccoutumance.
Mansuétude, docilité animale domestique.
Scuescere => coutume
=> costume.

L’alcoolisme : s’accoutumer à l’alcool pour s’insensibiliser à la douleur de la désaccoutumance => de la sœur
=> du costume de petit marquis

Coutume d’enterrer les petits animaux => s’habituer à la mort
=>honorer la docilité animale
=> coutume des sœurs (leurs singuliers rituels).

Sœurs. Sororité imposée. Par habitude. Par absence des autres.

S’habituer à être sœurs ensemble. S’insensibiliser à la douleur de l’absence d’une relation possible avec quelqu’un d’autre. S’accoutumer à être sœurs.
Mansuétude. Docilité animale, domestique, de moi pour elle.
S’accoutumer. Assuétude, addiction. Ne pas pouvoir se passer de cette sororité-là (insensibilisée, docile). Malgré sa toxicité.

Creuser. Ouvrir la terre. Attendre des mots.

Coutume. Sœurs par coutume (marquant la particularité, la coutume d’un peuple). (Peuple ! Parents, à Eux deux, une secte).
Le costume du petit marquis fixe l’image (l’état).
La coutume devient désuète par désaccoutumance.
Ne plus s’adonner.
Coupe le soi.

S’accoutumer à l’alcool pour s’insensibiliser à la douleur d’un problème domestique  (-cide : coupe, taille, fend en deux le soi la sororité) qui aurait émergé à la faveur d’une histoire singulière. Quelle histoire ? L’impossibilité de la communion sexuelle ? L’asexualité à cause de la sororité ? Ne nommes-tu pas, ma sœur, tes supposées amantes du seul vocable de « la personne » ? Jamais leurs prénoms, toujours « la personne ». Asexuée.

Les Parents attendent en bas de l’immeuble. Furieux. Vaincus. La première sœur leur a échappé en choisissant une (prétendue ?) homosexualité (asexuée ?), s’habille et se conduit en garçon (barbue). Elle Les regarde en face, Leur présente sa cape rouge, sa face barbue, elle est devenue l’Autre. L’Autre repoussant, repoussé par la secte des Parents, jailli du propre fonctionnement de celle-ci. Mais en devenant l’Autre, elle a éloigné, fait fuir sa sœur. Celle-ci épouvantée par : le renvoi à la secte ? La scène Mère/fille aînée ? La barbe ?

Creuser.


Station VI : suite tronquée inachevée provisoire de ce jour, 22 avril 2015 

[…] Dix ans en arrière, elle aurait sangloté. Vingt, elle aurait hurlé, comme à l’orée d’une chute dans un précipice dont on ne sait la profondeur ni le temps ni l’effort nécessaire pour s’en extirper. Là, au mitant passé, elle a de ces larmes impromptues qui jaillissent de ses yeux rivés aux actes -faire, défaire-, ou ces hululements graves et saccadés qui la prennent au dépourvu, quand le cœur comme une pierre grosse elle doit cacher dans la pliure du coude relevé son visage plissé par les sanglots.


Elle voulait faire un bassin, un abreuvoir pour les oiseaux et les bêtes. Le forage n’est pas si éloignée qu’il n’eut été impossible de tirer une canalisation. Un bassin rectangle avec une margelle et trois pierres plates en escalier pour y descendre, des nénuphars et des poissons aux voilures tachetées qui auraient baisés le bout de ses doigts affleurant à leur ciel liquide. Elle y travaille depuis longtemps, soigne à l’entour les ombres et les odorants, un romarin, des cistes, des géraniums vivaces, elle n’avait pas voulu d’un if, lui avait préféré un amandier. Dix ans durant, au moins.

Dans de grands paniers, au cellier, elle garde des brassées de lavande, des pignes, des foins blancs, de grandes gerbes d’anis. Des plumes de pies et de geais, des galets de la mer, des pétales noircis de coquelicots dans des pots de verre. Dans une chambre close, là-haut, des poupées, des peluches, des boîtes en fer et en carton, des livres d’enfant, des parures de jeunes filles, des cadres avec dedans une paire de bébés de petites filles de jeunes femmes souriantes.

Elle se redresse, tenant toujours l’outil, surveille la route qui monte au mas. Le pays ensommeillé remue, dormeur dont les épaules roulent de temps à autre, libérant des résonances lointaines, échos d’un village qu’on ne voie pas, en bas, au coude de la rivière. Bruits et sons arrivent tard, si tard, avec ce décalage causé par la paresse de l’air, une distanciation antique et païenne.


Elle lâche l’outil, se prosterne, délace ses sandales. Vieilles tropéziennes faites chacune d’une seule lanière de cuir qui, perçant la semelle plate, prend le gros orteil dans une boucle puis enlace le pied en plusieurs circonvolutions jusque haut sur la cheville. Là se lient les deux extrêmes par un piton de cuivre. Presque la même pointure. Elle les lui avait données. Elles ont presque les mêmes mains aussi, presque, et le même profil, un nez un peu grand, droit. Étrusque, dit-on, mais les gens disent et ne savent pas. Ne savent rien. Du bassin devenant fosse. Des fosses, des tombeaux, creusés avec des canifs, des bouts de bois, des tessons de tuiles cassées, des serfouettes ; soleil, mistral, orages, l’argile collante ou sèche, les cailloux glanés, les monticulets, les totems aussi hauts que possible qui, avec les mois, s’effondraient sur eux-mêmes, rapetissaient, retournaient à l’ocre, aux graminées. Trous dans terre, petits, grands, ronds, triangles, suivant qui dormirait là, chien piteux ou hamster reboulé, suivant comment ils avaient péri et s’étaient raidis, avec ou sans théâtralité, la plume le poil l’œil ternis, suivant ce qui composait leurs linceuls, chutes de soie, étoupe de coton, herbes sèches ou vives, et sans même une croix grossière, on ne savait pas pour les croix. Une pierre, un bâton dressé. Pas de cérémonie, pas de longueurs puériles. L’enfouissement à lui seul. Ne pas savoir quoi faire de la mort. Sans réelle explication, abrupte comme le passage difficile d’un concerto trop répété. Rien que les empreintes ineffaçables des corps autrefois vivants des ensevelis -douceur, densité, pelages et plumages- gravée dans les paumes en calice, à leur exacte contenance. Comme jouer du violon, le son en creux dans les mains. Son âme plantée dans la clavicule. Bois os contre chair.


Elle reprend en mains la pioche, redescend nus pieds dans la fosse. Là-bas, derrière la montagne, dans la ville au bord de la mer, une rue et à l’étage un deux pièces chaulé, en bas dans la vieille Audi bleue Ils sont assis, Ils attendent, les yeux impatients, que cela finisse. La fenêtre, certes, est ouverte sur les volets mi-clos, le marché dont la rumeur Les irrite et les odeurs trop intenses, et puis la mer saumâtre et huileuse dans le port. Elle creuse. Ses yeux coulent. Elle arrache du vide à la terre, promesse à tenir, je viendrais plus tard disais-tu, quand de ma personne je pourrai te parler positivement, quand je serai plus sereine, quand je serai redevenue reine, et je prendrai l’autobus jusqu’au mas. On se racontera, l’une l’autre, cigarettes braisonnantes, installées sur le tapis rouge à dessins de jardins et d’oiseaux, flammèches des bougies, cendrier carré, on ne se touchera pas, on s’endormira au milieu d’une phrase reprise au réveil, à pas d’heure, nos mains s’effleureront par accident. Nous ne nous étreindrons jamais.


La Mère l’avait interdit. Les avait séparées, parce que, avait-Elle sifflé tordant le nez, tout de même, un peu vicieuses sûrement, surprises dans le même lit à lire, à chuchoter, et le Père mis au courant, bouche pincée sous la moustache, avait cloisonné le grenier en deux, une fenêtre chacune, une table, un lit, et des tours de garde sur le palier. Mais c’était trop tard, de concert le serment échangé, sans croix de bois de fer, quand nous serons grandes nous habiterons ensemble, une maison de pierre, nous aurons plein d’animaux et un vrai cimetière pour eux et pour nous, tu voudrais quoi, des pétales de coquelicots et des plumes de geais, moi des gerbes d’anis, et des galets de la mer, et des pignes, et avant on aura joué, sur scène le duo, la Concertante. Ceci expliquant cela ne dirais-tu pas, suis-je seule à faire le lien certains soirs, un verre à la main : l’une devenue gouine pour de vrai, comme dit élégamment le pater, l’autre devenue fille-mère, c’est à hurler de rire, ressers-moi donc de ce petit rosé. Et rendez-vous une fois l’an, pour répéter. Une fois l’an, non, tous les dix ans plutôt, comment vas-tu, comment es-tu ? Quelques fosses à creuser, nos morts enterrés, accidentées, se cachant l’une de l’autre comme des bêtes qui savent, de par leurs chairs qui se glacent et raidissent, qu’il est bientôt temps. Analphabètes.


Rappelle-toi, petite sœur. Celle qui a fait volte-face et celle qui s’est enfuie, les clôtures déplacées emportées avec elles, greniers, escaliers et leurs paliers, inversion de genre ou mère sans, médusées, barbue ou pétrifiée, hommasse ou putasse, pipe de bruyère ou rouge à lèvres, sans racheter jamais le suint. Symétrie insoupçonnable. Vois, petite sœur. L’une comme l’autre, et vice-versa. Ce n’est pas un alto jeté par notre mère entre mes mains qui te porteras assistance, ce n’est pas de cette mélancolie -ma clôture mon écharde- que j’apprends à fuir. Je n’ai pas de voix, rien que des sons comme des hululements, des pleurs antiques, je ne sais que la forme des gestes, pas le rythme des mélodies longues, je triche, je prends des trains qui m’emportent loin, jamais assez loin d’Eux, je me terre, je n’ai pas de musique dans les veines, rien qu’une encre noire et la peur crisse mes os. J’ai fui alors que tu Les a défiés de tes yeux noirs moqueurs, agitant sous leurs nez une figure rouge d’excès en tous genres, sans donner d’estocade finale ; j’ai fui je me suis close alors que tu restais et cisaillais en ricanant devant Eux tes tresses d’indienne, brûlais tes robes, contrainte par corps parental à honorer ta dette de petit prodige du violon, tu as plutôt tailladé tes veines avec d’autres toxiques, métamorphosée en crapaude désenchantée et ventrue n’attendant que de la seule ivresse, tu te serais laisser pousser une barbe si tu avais pu, hurlant au téléphone la nuit des insanités, refusant ensuite de me répondre de me voir des mois des années, et moi m’en fâchant, te vouant d’un revers de la main au diable à la tragi-comédie, toi ma sœur qui cette nuit au téléphone, non pas faite comme une grive, pas cette nuit-ci, parce que, sanglotais-tu en plein delirium, répétais-tu avec une voix de vielle à roue : «  je vis ma misère, je vis ma misère, je vis ma misère ».


Et j’ai pensé aux photos mises en scène par la Mère, à cette image vraie, vera icona, toi en marquis de velours turquoise et culotte longue à dentelles, bas blancs plissés et souliers noirs vernis à boucle, devant la tonnelle, on voit à droite le seuil de la maison la porte bleue. Tu as sept ans et un quart de violon et un archet entre les bras, tes longs cheveux réunis en catogan ruban de velours de guingois, mèches de côtés en trois rouleaux défaits, tu ne souris pas, tu portes déjà ce profil douloureux et musical, redresse-toi pose l’archet comme si, Elle siffle la Mère. Puis sur la scène de l’Opéra de Toulon, comment es-tu arrivée là? à deux pas du port un soir j’ai vu, toi marquis miniature dans le rond blanc de lumière, salle noire, ton petit violon presque inaudible ou alors le cœur me cognait bien trop fort, et j’ai vu aussi une ballerine blonde en tutu bandeau plumes blanches qui battait des bras autour de toi, cygne miniature gracieux et ses pointes sonores comme les sabots d’un ânon, et toi imperturbable « faaaaaa mi do, miiiiii ré sol, laaaaa si doooo », et je me dis qu’avant la promesse sous le laurier rose il y avait eu aussi ceci : un marquis figé, un quadrillage serré et tu étais déjà dans la marge. 


Elle ne creuse plus, elle jette l’outil des deux mains sur la terre ferme, elle détale de la fosse éboulis pierres plates deux bonds, saisit en passant par leurs lanières de cuir les sandales et cours, les bois des thyms et le silex des pierres sous ses pieds nus insensibles.

Ils ne lui diront rien, ni l’heure ni la date, ni la vérité.

Le soleil de dix heures dans le salon aux tommettes et les bulles d’air forcloses dans la verrière pétillent, balcon sur le Mont sa pinède ses pierriers. Dans la salle de bain faïencée de bleu elle a passé mains visage sous l’eau froide puis contre le coton rêche de la serviette de bain, elle rejoint le tapis comme un jardin que ses pieds poudrent d’ocres, elle tire l’étui de sous le canapé, en fait claquer la serrure. Elle ne déplie pas le voile. Elle regarde. Elle attend.

Caillou