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Station IX

O Lamm Gottes unschuldig, BWV 656

Versus 1

Je n’irai pas plus loin. Sinon je vais encore tomber. Je vais plutôt me planter là et regarder la mer.
Je n’irai pas Les voir, je ne Leur parlerai plus. Je garde ma colère debout.
Mes petites joies se sont envolées, ma maison est à repeupler.
Je n’ai que le regret, d’un poids sur mon corps, d’une caresse sur mon visage. D’une pression derrière les yeux. Et de mon souffle à mesurer.

Je n’irai pas plus loin. Cette histoire de la jeune fille paisible et souriante m’épuise. Je ne chercherai plus, n’en ai plus le cœur. Ce que j’ai trouvé, je le pose là, au sol, là où je suis venue m’enraciner.

Je ne veux que regarder la mer sous la lumière d’ici. Marcher sans jamais la perdre de vue, une permanence dans mon champ de vision.
Parfois j’y nage, si mal, près de la rive, mon souffle est petit, la fatigue me prend vite. Je ne vais pas trop loin. J’ai un peu peur. J’aurais moins peur accompagnée.

Je pourrais m’équiper de transparence et d’air et regarder dans la mer, c’est si beau. Je l’ai déjà fait, hier ou autrefois. J’ai un peu peur. Et honte. Que l’on me voie, seule et presque nue, aller dans la mer.
Versus 2

Je ne joue plus. Ai-je jamais joué ? Marelle, terre ciel. Elastique, qui du bas vient en haut. Chat-perché. Corde à sauter. Un deux trois soleil. Jeux inconnus. Que je ne sais pas. Mon corps ne sait pas. Mes petites joies jouaient beaucoup. Je les regardais. Il était des fois où elles m’invitaient. Mes pieds s’embrouillaient.

J’ai joué appliquée, concentrée. Avec ce qui vient dans la tête, ce que savent faire les mains. Cailloux, brindilles, figurines, mots, notes : aligner, disposer, empiler. Après je regarde, j’écoute. Ce que mon corps immobile en dit.

Ainsi le lit, la table, la lampe. Un triangle. Quel que soit l’agencement de mes successives chambres, petites ou grandes, ils sont toujours là. Les trois mêmes, depuis les petites joies. Fer, bois, terre. La disposition change, c’est un jeu à moi. Une trigonométrie sans calcul, induite par le hasard des murs, d’une porte et d’une fenêtre. Ensuite j’observe les lignes. Je suis patiente. Tantôt je me pose dans le triangle, tantôt à l’extérieur. Je rêve entre les fers ce que j’ai lu sous la lampe et le travaille à la table. Je rattrape sous la lampe ce que j’ai écrit dans mon rêve pour l’avoir attendu au bois de la table. Je rêvasse à la table les yeux sur la faïence crème -un lavis bleu, montagnes, champs de vigne ou de lavande, maisonnette, arbres, balançoire- puis je mange des livres dans le lit de fer. Les combinaisons ne sont pas infinies. Elles se recoupent. Tracent ce qui rebondit entre les angles dans la surface de jeu. C’est ténu, il faut se concentrer. Comme aujourd’hui à la table de bois. D’où je lève les yeux. Je regarde : un certain désordre, enclos. Le lit défait encombré de livres et d’un chat endormi. Sous la lampe, ce n’est pas coutume, des jouets. Ceux-ci sont trois. Trois plus un, ce dernier derrière la lampe. Trois jouets plus un jouet. D’une quinzaine de centimètres de hauteur sauf le quatrième grand d’une bonne trentaine. Des pouet-pouets (muets depuis longtemps) en caoutchouc, des années soixante. Oui, je les ai volés chez Eux et j’en suis fière, Ils ne me les auraient pas donnés. Ce sont nos jouets d’enfance. Ils restent toujours ensemble. Trois plus un. Un canard, un ours assis, un petit garçon. Et un grand chien avec un collier rouge. Donald campé les mains sur les hanches. Un ours crème quatre pattes à coussinets roses. Un petit enfant debout qui croque dans une tranche de pastèque. Pluto le chien. Je les connais bien. Ils sont presque souriants. Ils permutent leurs places sur l’étagère ou la quittent au hasard du passage d’un chiffon à poussière. Le résultat est sensiblement identique à l’état initial (point de restauration à une configuration antérieure stable). Yeux grands écarquillés. Intervertir régulièrement leurs positions modifie les lignes de convergence de leurs regards. Pourtant je les enferme aussi dans l’armoire quelquefois. Ils ne sont pas rassurants. Ils s’obstinent dans la stupéfaction. Aujourd’hui, Pluto le chien jaune en arrière-garde gueule béante ; le garçonnet en chemise blanche nouée sur le nombril, devant et au milieu ; l’ours (l’ourson ?) aux yeux bleus à gauche ; Donald en marinière et béret bleus, à droite. L’ourson regarde loin à gauche bouche ouverte, le petit enfant à droite (les pieds de face, il se tient un peu contorsionné) une quenotte dans sa tranche de pastèque rouge, les énormes pupilles de Donald sont bloquées à droite, sourire en coin bec fermé. Pluto voit tout, de face. A eux quatre ils n’ont pas le temps d’être attendrissants. Il va, ou vient, de se passer quelque chose ? J’échange les places : garçonnet à gauche, Donald au milieu, ourson à droite. Pluto de profil. Ah ! Ce chien est un bon chien : ses oreilles, longues, jaunes et noires, voient ! Et ses pattes et sa tête articulées ! Voir entendre marcher trotter courir s’allonger s’assoir, les pattes raides certes, Pluto sait. L’ourson et le canard échangent un regard constant, petit garçon de sous le bec jaune du canard s’enquiert de ce qu’il se passe auprès de l’ourson (ou un cochon ?) qui l’ignore. Je permute encore : ce stupide cochon au milieu, Donald à droite, petit garçon à gauche. Qui, vrillé sur lui-même, interroge le cochon (ou une oursonne ? elle me paraît féminine d’un coup) ; le canard, hop hop hop, les bouts d’ailes calées sur les hanches, béret bleu sur le sourcil gauche, mais mais mais, que se passe-t-il ici ? Leurs échanges hypnotisent. Mon cœur accélère. Je réhabilite Pluto le grand : de face, j’ai besoin de sa présence en alerte, yeux grands, truffe en l’air oreilles dressées. Il a une grosse bosse sur la tête. Quand bien même. Quelque chose d’insupportable (quoi ?). Dispersion répressive : Pluto au fer du lit, Donald isolé sur la table, l’oursonne collée à la lampe, le petit enfant au coin le plus éloigné. Je m’assoie à l’extérieur de la figure. J’attends. Chien jaune en panique. Donald fait son malin, sourire au bec ; oursonne (un chat asiatique porte-bonheur ?) des fossettes à son sourire, petite langue rouge, ondulations moulées en creux dans le caoutchouc lisse de sa fausse fourrure, je suis mignonne ne me touchez pas ne me touchez pas. Mon corps produit des larmes. Je retourne tout le monde. Ils sont insupportables. De dos ils restent en alerte, liés soudés inquiets pétrifiés. Petit chat les pattes en l’air, sa cambrure ses fesses dodues un ersatz de queue en bouton. Pluto n’a plus la sienne, un trou noir en place. Donald, canard bleu et rose, pas blanc, comment ne l’ai-je noté avant, rose chair, hors marinière béret et pattes, et rose cette excroissance de plis en guise d’as de pique. Roses aussi les fesses nues du petit garçon et sa petite main qui ne peut les cacher. J’ai honte avec eux. Je vais les chercher, je les réunis. Je voudrais les consoler. Leur gène sous les sourires figés, leurs yeux écarquillés, leurs volonté de rester attendrissants alors qu’ils sont juste épouvantés et qu’ils ne peuvent pas dissimuler leur nudité, et je le suis avec eux, épouvantée et honteuse, ces pauvres petits culs nus sans défense, mon corps sait, à perdre cœur, je quitte la pièce. Je reviens, les jouets n’ont pas bougés, n’ont jamais bougés, n’ont jamais pu bouger, comment voulez-vous ?



Versus 3

Je ne pardonnerai pas. Je n’irai pas La voir. Je ne L’embrasserai pas. Je ne Lui demanderai plus pourquoi, comment, qui.
Ne pas pardonner : un grand danger. Ma colère debout, contre le vent.

Je regarde la mer. Non pas l’océan : la mer. Qu’elle me berce, me caresse. Presse ma peau de son eau lourde. L’image d’Elle paisible et souriante, non plus jeune fille mais mère : une vignette dans un ciel au-dessus des flots, profil trois quarts, regard doux impossible vers quelque part, sourire calme et cheveux au vent, une brise. Cette vignette comme un acouphène virtuel.
Je ne pardonnerai pas. Cela me fait tomber. Deux fois déjà, si seulement je pouvais tomber dans la mer, toute droite. Et voilà, j’y suis. Tombée, mais avec transparence et air. A nager entre deux eaux.

C’est comme une petite déflagration dans le cœur, sous la pellicule réfractante de la surface l’eau a ce trouble des verres anciens. Mon corps, bras jambes, invente des lenteurs gracieuses. Une main tiède sur mon épaule, fraîche à mon ventre, insistent en pressions sur ma chair. Quelque chose lâche et claque, que roule les vagues que choquent les lames contre la rive aux pieds d’Elle qui m’a perdue.

Je ne pardonnerai pas. Je nage dans du cristal souple en mouvement, loin d’Elle qui ne sait pas ce qu’Elle a fait et s’en va amère dans l’Audi bleu conduite par un faux monégasque de pacotille. Je nage, je vole. Des prairies de posidonies, des vasques de sable blanc enchâssées dans des criques chevelues. Vert anis. Violet des méduses. Sabres d’argent de quelques bancs de sars. Tant de douceur peuplée, comme l’enlacement, rêve récurrent, de nos corps, mon visage dans ton cou brun et ridé de tant de soleil, l’odeur de blanc de ton polo, tes os contre mes os, ta chair contre ma chair. Tu m’étreins, j’aime le poids de ta main alourdie de la grosse montre entre mes omoplates. Au risque de te perdre dans l’immensité, je ne peux pardonner : je ne crois à ta résurrection que dans mes pauvres songes.

J’abandonne. Je n’irai pas plus loin. Mes nuits en triangle s’évaporent et Toi, Mère paisible et souriante, tu n’as jamais existé. Je perds cœur. J’attends la visite du rêve, j’attends qu’on me pardonne. Elle, à moi ; une sœur et un petit frère, à moi, restée figée, muette. J’ai préféré la mer à notre mère, aimé si bien ce qu’Elle déteste, quand j’aurais pu, oui, aurais dû, l’amadouer, la détourner.

Je ne serai pas pardonnée.

Elle, Lui : Eux deux qui ne savent pas ce qu’Ils ont fait, ce qu’Ils font. Je n’ai pas de cœur. Ils ont des larmes alors qu’Ils ne savent pas. Moi, je n’en ai plus alors que mon corps sait. Je n’irai pas plus loin. Je tombe. Je vais me planter là, et regarder depuis la mer.

J’ai un peu peur. Sous la surface comme un ciel remuant, du sable, des roches. De la terre. Sous la mer, la Terre. Quitter l’entre deux eaux, prendre la verticale à poids constant, poser les pieds sur ces fonds. Abandonner le flottement, se redresser. Je n’ai jamais fait cela : me tenir debout dans la Méditerranée à quelques mètres de profondeur. Au loin, pas trop, la rive, ce lit de coquillages de gravier rouge de verroteries minuscules polies par le ressac léger. Le ressac sonore et doux que je n’entends plus, inaudible mais présent.

Assis sur des chaises basses de plage, Toi en polo blanc lunettes d’aviateur, et Juliette les mains à plat sur les cuisses, m’attendent, vos bouches chantonnent. En apnée, je marche enfin en lévitation, iode sel, au ras du sol de la mer pour ne pas troubler sa transparence, jusqu’à une montagne sous-marine, griffe de roche plissée affleurant les abîmes, comme patte ouverte et tendue et moi posée dessus telle une figurine de vieux caoutchouc rose. Si peu de fermeté. L’eau bouscule, mes pieds trop légers, tourneboulés. S’ancrer. Se redresser, mains en ailettes, tenir en apesanteur, s’enrouler du pied à une gorgone tel un hippocampe.



Caillou