Il
ne faut pas toucher aux fruits
C'est là que dorment les comètes
et
l'océan s'y reconstruit.
(Le
cheval applaudit) Alain Bosquet
C'est
une contrée de champs suturée de chemins, de routes étroites, le
vent contredit le soleil qui en découd avec la pluie, le ciel replie
les nuages, les roule et les rend au vent. Le soleil en nappes. Des
orages. Entre les champs, le long des routes, des murs de pierres
grises ou rouges, les hortensias s'en moquent, ils écument en roses,
bleus, le trop plein des jardins. Dans ce jardin-ci, des groseilliers
à fruits rouges, un prunier, un potager au secret de lianes en
vrilles qui posent leurs clôtures ponctuées de citrouilles oranges.
Le chemin de ronde est un cailloutis clair parcouru par des
jardiniers-sentinelles en sabots de caoutchouc. Quand je suis arrivée
dans cette contrée, entre les champs ce jardin comme une enluminure
autour d'une lettre, la première de l'alphabet et d'un mot, de ce
mot dont je ne saisis plus le sens ni le souvenir, un mot mangé au
noir d'une grotte. En suivant les pas des sentinelles on débouche
sur une place blanche que contemple le visage paisible d'une
maisonnette aux joues duveteuses de vigne verte, rougissantes s'il en
faut, aux yeux mi-clos, verts, gris ou bleus. Cela dépend des
péripéties qui se jouent là-haut, entre les nuages et le soleil,
rien n'est simple dans ce pays où sans cesse la mer s’en mêle,
qui jette ses caprices à la figure du ciel pour prendre ensuite des
pauses mutines, soie moirée émeraude, ou grise en satin à petits
bouillons. À cela, la maisonnette consent, comme à caprices
d'enfant qu'à feindre d'ignorer il vaut mieux s'employer, patience,
ces petits ou gros débordements de caractère n'entament en rien le
cœur d'une vieille maison veillée par les paupières ensommeillées
des chats. Ceci est une maison païenne. Sous ce toit voici trois
chambres. La moyenne est mienne, pour un temps si petit si grand,
entre ses murs peints d'écume le vent pousse sur les tuiles, fait
craquer le plancher que lessivent des flaques de soleil. Ceci est ma
chambre et j'attends la nuit pour que se lèvent les paroles. Sous le
plafond en soupente un lit blanc, sur le drap immaculé des fleurs
d'écorce brune en semis de point de croix, une fleur par génuflexion
sur le droit fil, d'une ligne à l'autre parallèles, chemin de
stations, et ses rameaux d'étoiles, d'ovales bistres. C'est presque
une chambre de reine, lit de fer sans baldaquin et fenêtre sur la
placette blanche et ses fleurs multicolores en sautoir. De reine
rebelle qui userait la solitude par l'attente de ses filles chéries
et mesure le temps avec des plumes, des coquillages, des cahiers.
Dans
la chambre blanche je me tourne et me retourne sous les pardons semés
sur le drap.