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mercredi 11 juillet 2018

Lumière dans poche

Une lampe de poche tient dans cette appliquée de tissu cousue au vêtement : que le vêtement soit fin ou petit, ou bien grand et de confection solide : la lampe de poche ne sera pas la même. Lampe de poche pour bébé ou Goliath, c'est selon. Celle-ci est de la taille d'un téléphone de l'année 2017. Un téléphone des années 70 se logerait volontiers dans la poche d'un géant, emberlificoté dans son cordon : ogre, kangourou préhistorique (tout est grand dans la préhistoire). Un téléphone actuel ignore l'usage singulier de téléphoner pour téléphoner (prendre ou donner des nouvelles, s'enquérir d'un renseignement quelconque, commettre des blagues stupides au receveur ou à son pire ennemi, envoyer du courrier sans facteur, etc.). Dans la poche de l'ogre ou du kangourou préhistorique se transportent de plus, et de concert : appareil photo, caméra, encyclopédies et dictionnaires, cartes IGN, matériel nécessaire à l'écriture, quelques ouvrages de l'esprit, un orchestre philharmonique et un jazz band et d'autres auxiliaires de vie. Un déménagement. Un voyage sans téléphone, smartphone, usinophone ou autre, implique de se munir de lumière, la bougie abandonnée par crainte des intempéries diverses (le vent souffle sur la flamme, la flamme prend à la tente; le soleil liquéfie la cire, la cire prend à la tente; la pluie éteint la flamme, la mèche redevient bout de ficelle). La lampe à gaz reste intransportable dans une poche. Le groupe électrogène aussi. la lampe-torche à LED : laide. Un rien peut empêcher la consommation superflue. Une lampe de poche survivante des années soixante mérite usage. Ampoule, ok. Pile, changée. Carrosserie cabossée, fermeture améliorée d'une appliquée de chatterton. Couleur : orange d'orange. Attache de suspension, ok. Poids, certain. Marque, wonder. Lumière, blanc cassé. Utilité : éclairer. Souci, angoisse, fin du monde :  ne pas la perdre. Logée dans la poche du jean ou de la veste au soir approchant, dans le sac à dos, en journée (crise d'hystérie à heures diurnes diverses, vides-sac consécutifs). Usage réalisé : éclairer dix à vingt pages de lecture sous un toit tendu à même le ciel sombre, dans un duvet bouchonné en chien de fusil, le sac en oreiller. Bonheur.

mardi 3 juillet 2018

Partir

Premier jour. Partir au matin vers 9h sans GPS sans carte, avec liste arrêtée gribouillée sur bout de papier (on a sa journée) : DN7, Tourves, Cadenet, Cavaillon, L'Isle-sur-Sorgue, Orange, Mornas, Pierrelatte, Montélimar, N102, Aubenas, N88, Pradelles, D985, Langogne, Chambon-le-Château, Saugues, Chazelles, et puis après on sera arrivée au hameau. Ce qui sera de ce qui est. S'arrêter trois fois : une pomme, du fromage, son chemin. Changer l'itinéraire, par rêverie, un peu : après Rians passer par Jouques (champs de coquelicots rouges rouges rouges sur vert tendre, et champs labourés de frais, ocre : avoir reconnu l'endroit qu'on avait dans les yeux depuis si longtemps, mais savoir n'être jamais venue ici). Regretter de n'avoir (et vouloir, du coup) un vrai appareil photo (même tout simple). Se dire qu'on pourrait habiter là. Ce qu'il faudra de ce qu'il faut. Prendre bout d'autoroute après Orange jusqu'à Montélimar. Traverser le Rhône par le pont où c'est écrit dessus à l'entrée tout en haut dans ce sens : à la sortie, en lettres Art Déco aussi dans la pierre c'est précisé : Ardèche. Quelle trajectoire pour un même geste ? Après Aubenas grande montée pour les quatre chevaux :long, beau. Après Langogne, se tromper, et prendre départementale parallèle. Entre Chambon-le-Château et Laval-Atger, bifurcation en T avec imposant Hôtel des Voyageurs, trois ou quatre étages, fermé, grands murs gris, début du siècle précédent au moins (voir les commerçants et les voyageurs descendre de charrois ou d'autobus poussifs, des malles, des caisses, les tables et le zinc, l'aubergiste et la marmite de ragoût, la chambre pour quelques sous)... Quelle force encore dans les doigts ? Après Venteuges, douter de la bonne route et faire demi-tour au niveau du calvaire aux trois croix de pierre noire (trop de forêt haute d'un coup dans une vallée très encaissée, ne correspondant pas à l'imaginaire anticipatoire de champs et vallons : se méfier de l'imagination). Du début jusqu'à mi-chemin, de mi-chemin jusqu'à la fin. Retomber sur ses roues à Chanteuges, bonne (?) direction demandée à un couple (père et fille?) attendant à bord d'une fourgonnette blanche dans la cour d'une ferme (entendre les vaches à la traite) quelque chose ou quelqu'un. On sent que glisse le terrain le visage caché dans les mains. Être arrivée à destination pour 19h30 : à la sortie de la vallée encaissée prise à rebours, donc, une autre ferme aux bâtiments dispersés des deux côtés de la Départementale. Et qui d'autre pour nous aider. Le petit cheval blanc descendu des collines boisées, pour l'accueillir (s'imagine-t-elle : se méfier de l'imagination). Ce qu'on devra de ce qu'on doit. Repas rapide, pas déranger, une assiette de (parfumé) gratin de légumes, les hôtes dînent à 18h. Crachin. Monter la tente en quelques minutes sous l'auvent derrière la grange (chevreaux lèvres douces, lapins en HLM). Ce qu'on fera et qui sera fait. Trouver une vis sans son écrou, rouillée, énorme (tombée d'un tracteur depuis longtemps, de la charpente?) et la mettre dans sa poche. S'endormir habillée dans un sac de couchage sur le tapis de sol (sans ôter la robe d'été du jour : avoir enfiler jeans, les deux tee-shirts, les deux pulls, deux paires de chaussettes, grelotter un peu et aimer ça. Odeurs de terre, de vieille poussière de cuir et de bois vermoulu, de la tente (caoutchouc), bruits de la Desges qui coule froide à quelques mètres. Ce qui sera de ce qui est. Lire Rilke à la lueur de la lampe de poche et s'endormir sur J'ai fait quelque chose contre la peur. Je suis resté assis toute la nuit et j'ai écrit.


Bande-son : Cycle / Dominique A. 
https://www.youtube.com/watch?v=q34mBOu7yvo

Caillou