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mercredi 30 mai 2018

Flot raison


En ce mois d'avril de l'an 18 du vingt-et-unième siècle passent au dessus, devant, sur, sous, de plein face ou contre profil, du nord de l'est ou de l'ouest, du sud si mas enjambé : trente fois, les nuages meringués ou noirs, les portions de lunes, les soleils blancs ou piquants, ras ou suspendus, les obscurités des petits jours et des crépuscules, les vents colères, les pluies qui ne sont jamais fines mais épaisses et lourdes, les nuits de pleins jours avec lumignons Grande et Petite Ourse, les encres, les bleus, une multitude excessive et innombrables de bleus... le lierre a lancé le premier ses têtes chercheuses depuis la face extérieure du poteau d'arrivée, une arrière-garde de grappins assurant ses prises dans le ciment, depuis mars, certainement. Le 1er avril, de nuit, les woah des grenouilles ? crapauds ? échelonnés, en répons, jamais superposés, du fossé sous l'escalier... le 2 avril un verdier Chloris Chloris, chapelets de bulles sonores par sept ou huit, moins trilles que successions d'appogiatures, où et revenu d'où ce passereau gris et vert olive ?... le 10 avril le ficoïde dessille du fuschia de jour, clos ses cils magenta à la tombée, bien que passé l'hiver en pot sur le carreau du pilier central... lampranthe éperonnée de son petit nom... un couple de tourterelles turques, collier noir sur gorge, se rendre compte ce jour 16 avril de leur retour, roucoulent bec à bec sur le fil téléphonique amarré à l'angle Sud-Sud-Est, à la verticale du départ de l'escalier... quelques moustiques le 17, pelargonium citronellum débordant de la plate-bande droite, une croyance... depuis dix jours exactement la bourrache, face à la balustre et son limon extérieur, dressent tiges grosses et velues, feuilles alternes non moins velues : menus visages-étoiles bleu outremer en garde-à-vous anarchique... le 17 encore, journée faste, chaude, au cerisier, éloigné à l’extrême, cour cimentée aux gros graviers, des pétales papier japonais : feuillage coiffé au poteau... le midi du 18 avril un gecko grumeleux près l'imposte de la lourde porte fanée, au mur collé de ses quatre fois quatre doigts boudinés de micro-poils gluants détale... à la marquise, lianes et feuilles s'activent faufilent rapiècent fer et vitraux brisés, ce qui sera achevé pour le 29... le 14 avril sur la huitième marche, sur gris ciment usé et moussu, à vestiges rouge sang de tomettes ou peinture huileuse, longue queue de lézard convulse, corps dans gueule du chat feulant sur quatorzième marche... les 21, 22 et 23 avril, et gare à toi chat, essaim d'abeilles tourbillonne et s'agglutine, entre 18 et 19 heures, dans la fourche du chêne tauzin, à six mètres du sol, huit -au jugé- du palier-vigie : le 24 s'en sera allé ailleurs... dès le 25 avril les troncs noirs des chênes rouvres à cinquante mètres au Sud-Est s'estompent à vue d’œil sous le véronèse des feuilles naissantes, qui s'étirent et se retourneront le 27, d'une pirouette, vert de chrome... le chêne tauzin, bon dernier, crache ses vieilles feuilles marrons comme chicots sur les bourraches mais pas toutes, et rattrape à lobes dentelés ses congénères quersus... entre-temps le 23 avril les mauves lourds de la glycine pèseront de toutes leurs grappes au garde-corps de la marche palière... se vrilleront par en-dessous au premier des trois tubes d'acier des tentacules jetées, pour cette année, vers le deuxième... sur un coup de tête, le soir tombant du 24 avril, sécateur drisse et hache les lances du lierre : de l'air pour la glycine, et le jasmin encore en feuilles si lent à atteindre la seconde séquence de la première section : contre-offensive, trêve... dans la plate-bande aux yeux outremer, aux verts de peu d'attrait des laiterons, se peut compter le 28 avril trois sortes de pissenlits et deux sortes de trèfle dont l'une à bords pourpres... de la vesce légère aux fleurs coquille d’œuf et incarnadin donne haricots avec gousses petits pois, c'était le 25... des longilignes graminées poaceae, fomenter le 26 avril un fauchage ras, à la serpe après la rosée pour cause d'épillets, comme avoine ou seigle, à se ficher sous la peau du chat... depuis le perron du premier palier, du 11 au 14 avril focaliser sur les succulentes et les crassula en bas derrière et contre les murets, un peu rougeâtres temporairement, petits froids nuitamment... n'en n'ont cure les ronces sur la levée de terre, au déchant de la colline... de restanques pas même souvenirs : villas, piscines, triples garages, pelouses naturelles ou synthétiques, terrasses, béton, ensembles salon de jardin de barbecues (électriques ou à gaz)... par dessus le parallélépipède de faux-laurier érigé par le voisin à cinq mètres du mur Est du mas, de la vigie-perron du premier et encore mieux du second, la colline percée, tranchée, entée, goudronnée, vaincue ne remue plus.. le 30 avril, au départ de l'escalier, entre le cellier et les six marches raclées à la colline, sous les menus regards outremer, le chêne tauzin centenaire, et devant les sucs charnus des crassula, les frémissements des vrilles, feuilles, ventouses, des balanciers mauves de la glycine, des bourgeons du jasmin ; devant les panicules acérées des folles avoines, les jupes ourlées des trèfles vesces dents-de-lion, un homme s'agrippe au pilier de départ... l'un de ces bleus du ciel, lequel, se reflète dans l'aluminium des béquilles : il en maintient une, horizontale plus ou moins, sous l'aisselle droite déformée, l'épaule haussée par l'appui du corps... sa tête, baissée, peut-être retombée sur la poitrine, donne à voir sa chevelure, taillée courte mais inégale, comme mitée, quasi une ombre autour de la cicatrice rougeâtre un peu en arrière de l'occiput... né dans les années 80, pas avant, de moyen gabarit et taille, même avant, il flotte dans une chemise à carreaux gris, un jean gris... il surveille peut-être encore ses pieds chaussés de baskets et sa douleur, ses douleurs, dans les jambes en réfection, les hanches augmentées de titane, la cage thoracique effritée à chaque respiration, peut-être ne pense-t-il pas à la souffrance des mots qui lui viendraient, à cause de la voix de vieillard essoufflé de maintenant, ou à cause de ce qu'il ne sait plus penser ou dire... ou n'ose penser et dire... de sa vie d'avant, du départ à sept heures tapantes depuis le second palier, de la légèreté à dévaler l'escalier, enjamber les six marches, la cour, du son de machine à coudre de sa Fiat Nuova 500, modèle 1958 bleu layette... rouler boulette jusqu'au restaurant, le sien, étoilé, étoilé après, pourquoi... après l'accident, le broyage, le concassage, les dents la mâchoire brisées contre le volant qui aura crevé un poumon, les os du bassin comme carcasse de lézard démantibulée fracassée... se souvient-il seulement de la scène, la Porsche Cayenne passant outre une priorité... le bruit, l'irréalité du choc, du déplacement, de la venue du noir d'encre, des limbes, des fers, des draps raides comme papier, des tubes, des opérations de... se souvient-il de sa voix d'avant, de ses mots possibles d'avant : vite, prêt, chaud, feu, couverts, menus, cuisine, gastronomie, vins, déglacer, agneau, en cocotte, figues rôties, primeurs du jour, encornets, Méditerranée, etc... de sa vie d'homme dorénavant usée pré-maturée par les œuvres mécaniques, électroniques, des hommes qui n'ont cure que d'eux-mêmes... au bas de l'escalier, bien avant l'escalade entre chair convulsive et grincement bionique du reste de son corps en réduction, jusqu'à sa porte vert fané où le chat feule assis à l'attendre sur la quinzième marche exactement... cramponné à la main courante gainée de serpentins de jasmin de lierre et de ronces, l'homme croise les regards des menus visages-étoiles outremer... hache dans un filet de voix, de souffle, lentement, avec précaution, yeux pâles écarquillés, quasi idiots, demeurés... - fleurs... bourrache... huître... miel... à première vue, la balafre mauve en travers de la joue précocement parcheminée, granuleuse, ne disent rien de ces histoires d'avant... en mai, en décembre, dans les années 50 de ce siècle vingt-et-unième, passeront les nuages, les lunes, les soleils et les vents et les pluies lourdes sur l'escalier... etc.

lundi 7 mai 2018

Pygmée

#Toulon#1983#



La deuxième et dernière fois de son enfance, de la sortie définitive de son enfance, elle va au cinéma place de la Liberté. Elle a dix-neuf ans, de son enfance tardante elle est si honteuse qu'elle consent en silence à l'idée lancée, d'un cinéma entre deux répétitions d'orchestre. Elle n'a pas osé dire rien, elle ne dit jamais rien ou si peu ; elle ferait comme si, l'habitude de ça, aller au cinéma. Aussi. A observer le rite elle se conforme : ticket, quelle salle, quels escalier et porte à hublot noir, quelle rangée, elle n'a pas de préférence. Les autres chahutent, elle tremble d'attirer l'attention, le père déboulerait sur la moquette rouge, l'emporterait d'une gifle. Mais c'est le jeune chef d'orchestre qui se place à ses côtés. L'obscurité, le volume sonore, le film lui-même l'accaparent, une conformité la rassure, aux documentaires en famille le soir, devant la télévision : le désert du Kalahari et un presque enfant, un pygmée, et son parler de cliquetis et petits mots incompréhensibles, sans sous-titres, comme un mélange de MORSE, de claquements de becs d'oiseaux ou d'élytres d'insectes, ou comme de menus cailloux choqués au fond de la mer ; ou pareil à l'autre parler, impossible aux autres, qu'elles s'étaient inventé, elle et sa presque jumelle, le parler des sœurs dorénavant séparées, et pour toujours, mais ceci elle ne le sait pas encore. Au cinéma, pour la deuxième et dernière fois de son enfance, le grand cerf aux yeux noirs a posé ses longs doigts sur sa main à elle, qui la lui a laissée prendre et mener à ses lèvres. Et de sa peau à elle, elle fait la connaissance du paysage de sa peau à lui, tandis que le film est devenu stupide et bruyant. De toute son enfance rance et mutique elle sort, sur la margelle, adossée au mur d'obscur dont elle ne reviendra jamais. 

 

Caillou